Préface de Dom Olivier Quenardel, Abbé de Cîteaux

Muguet - Rencontres buissonnieres     Chaque année, autour du 1er mai, la forêt de Cîteaux attire en grand nombre les amateurs de muguet. Se doutent-ils que cette forêt de 3559 hectares a une longue histoire, beaucoup plus longue que celle du monastère dont elle porte le nom ? C’est ce que Florence Zito, maire de notre commune, frère Placide et frère Michel s’efforcent de retracer dans cette monographie qu’ils conjuguent avec la figure de Saint Bernard dont nous célébrons le 9ème centenaire de l’entrée à Cîteaux (1112/1113).

     L’ouvrage fourmille de renseignements qui intéresseront non seulement les amis de la forêt et les proches de l’abbaye de Cîteaux, mais, de manière plus large, un public qui tient en grande estime la Bourgogne pour son histoire séculaire, pour la richesse de son terroir où se côtoient la vigne, l’eau et la forêt, et pour ce qui apparaît de plus en plus aujourd’hui comme un espace propice à l’éclosion d’une vie religieuse fort diversifiée.

    Il ne fait aucun doute que la forêt occupe une place majeure dans la fondation de Cîteaux. Avant même que saint Bernard incite ses auditeurs et ses correspondants à se laisser enseigner par les arbres et les rochers, les textes fondateurs de Cîteaux, le Petit Exorde en particulier, en parlent comme d’un lieu favorable à la quête de Dieu. (…)

     Aujourd’hui, la forêt de Cîteaux n’a plus le prestige qu’elle a connu jusqu’au XVIIIème siècle. Il n’empêche que l’ONF y exerce une véritable vigilance en matière d’exploitation ou de« réserve biologique ». On apprend avec plaisir, au terme de l’ouvrage, qu’un plan d’aménagement de la forêt de Cîteaux est programmé de 2009 à 2028. Il prévoit la transformation de 633 hectares en futaie régulière, et prend en compte la conservation des milieux et des enjeux liés à la présence d’espèces d’oiseaux ou d’autres animaux protégées. On ne peut en douter : dans l’âme de la Bourgogne, la forêt de Cîteaux a sa place. Florence Zito, et nos frères Placide et Michel nous donnent le goût d’aller y marcher.

Avant-propos, par frère Michel

Caligraphie - Rencontres buissonnieres

    En 1138, saint Bernard écrivait à Henri Murdach, jeune abbé de Vauclair qui était venu quelques années auparavant sous sa direction spirituelle :
Crois-en mon expérience, tu trouveras quelque chose de plus au milieu des bois que des livres. Les arbres et les rochers t’enseigneront ce que ne peut apprendre aucun maître.
Il aimait répéter à ses amis qu’il n’eut jamais « d’autre maître que les chênes et les hêtres ».

On pourrait ajouter bien d’autres citations. Disciple de notre « père saint Bernard » et, comme lui, amoureux de la forêt, toutes ces paroles résonnent en moi et m’ont encouragé à écrire ces quelques pages, illustrées, sur les bois de Cîteaux.
Lors de la fondation d’une abbaye cistercienne, deux éléments sont indispensables : l’eau tout d’abord et puis la terre. Et parmi ces terres, la forêt. ( …)
Etablis dans un désert appelé Cîteaux, au cœur de cette forêt qui leur doit tant et à laquelle ils doivent tant, les moines venus de Molesme la géreront, la valoriseront avec savoir-faire, et en vivront pendant des siècles.
La forêt de Cîteaux est, à ce titre, un bel exemple d’humanisme et d’intelligence. Ce livre retrace son histoire, « de l’écran formé à cette époque par les bois et les fourrés d’épines » à « un espace mis en valeur et favorable à la vie monastique ».

Aujourd’hui, la « forêt domaniale » de Cîteaux

     En 2011, la forêt historique de Cîteaux reste toujours propriété de l’état. Gérée par l’Office National des Forêts, sa superficie est de 3559 hectares. Elle constitue la plus importante forêt publique du Val de Saône en Côte d’Or, au cœur d’un massif forestier de près de 6000 hectares, centré sur l’abbaye de Cîteaux dont elle tire son nom.(…)

     Du fait de son intégration dans le périmètre de Natura 2000, l’exploitation de la forêt doit répondre à certaines contraintes, dont la prise en compte des cycles de vie des animaux protégés et plus particulièrement ceux identifiés en voie de disparition, comme le crapaud sonneur à ventre jaune.

La faune et la flore

     Les fondateurs du Nouveau Monastère arrivèrent dans un lieu qui n’était habité que par les «bêtes sauvages» : loups, cerfs, chevreuils, mais aussi sangliers, lièvres, lapins, renards, chats sauvages, blaireaux, etc.

     Au XIIème siècle, la forêt de Cîteaux est peuplée de gibier et la chasse y est largement pratiquée par les ducs de Bourgogne. (…)

Loup - Rencontres buissonnières     Parmi les bêtes sauvages, les loups étaient nombreux. Ces prédateurs dévastaient les troupeaux et s’attaquèrent même aux personnes. Les loutres dévastaient les viviers et  les étangs, les dépeuplant de leurs poissons. Loups et loutres étaient chassés par des chasseurs spécialisés : louvetiers et loutriers. Disparu de nos forêts, le loup n’est plus guère qu’un souvenir.

     Pourtant, après la fondation du village de Saint-Nicolas(1608), il faut se rappeler que durant les hivers 1654-1655, les villageois avoisinant l’abbaye de Cîteaux vivent une véritable terreur : les loups tuent plusieurs enfants, une fille proche de La Borde, et deux autres près de Gilly.

     On pouvait penser qu’ils avaient disparu. Cependant, en février 1928, quelques moines ont vu deux loups descendre de la forêt. Le dernier loup connu en Bourgogne, pense-t-on, fut tué en 1956. (…)

     Dès la fin du XIIème siècle, les étangs favorisent les haltes pour les migrations des oiseaux. La Saône comme la forêt sont autant de lieux hospitaliers pour ces migrateurs. Les uns et les autres sont si nombreux qu’au XIXème siècle, ils ont donné son nom à un café établi au croisement de la route de Seurre et d’Aubigny, à l’entrée de la forêt de Fesc, le café des Oiseaux. C’est un espace si naturel qu’ils y restent encore aujourd’hui très nombreux.

Cigogne, moines - Rencontres buissonnières     Parmi ces oiseaux migrateurs, on trouve les cigognes. Il en existe plusieurs espèces, dont parmi elles la plus connue : la cigogne noire. Au Moyen-Âge, les cigognes sont nombreuses à faire leur nid à Cîteaux. Les religieux les laissent faire. Grâce à elles, le monastère et tous les lieux alentour sont purifiés des vers nuisibles. A l’approche de l’hiver, elles partent en migration puis reviennent fidèlement. Ecoutez cette histoire vraie :

     Un jour, comme elles s’étaient regroupées pour leur migration, afin de ne pas se montrer ingrates pour l’hospitalité reçue, elles rejoignirent la communauté qui travaillait au champ, tournoyant au-dessus en poussant des cris. Tous restaient étonnés, ignorant ce qu’elles voulaient. Le prieur leur dit alors : je pense qu’elles demandent la permission de s’en aller. Et levant la main, il les bénit. Aussitôt, en ordre parfait, à grande vitesse, elles s’envolèrent.

De l’arbre au papier

 Moine et papier - Rencontres buissonnières    Le bois est omniprésent dans une abbaye, c’est ce que nous constatons. Non seulement dans les charpentes, l’ameublement, les objets utiles, mais aussi dans un domaine essentiel de la vie monastique : le support de l’écriture.(…)

     Au Moyen-Âge, entre autres établissements, les monastères possèdent des scriptoria (ateliers d’écritures) capables de produire des manuscrits. Les premiers étaient composés de parchemin et couverts avec des ais de bois. Ces ais, maintenus par des fermoirs, ornés de boulons et ombilics, permettaient au parchemin de ne pas se gondoler avec l’humidité. Les livres, en général de grands volumes, étaient positionnés de façon horizontale sur des rayons en bois de la bibliothèque.

     Le papier, dont l’histoire commence en Chine et au Japon, arrive en France aux XIIIème  et XIVème  siècles. En 1440, Gutenberg donne naissance à l’imprimerie   en Occident. Dès lors le livre devient l’objet culturel par excellence, porteur de la mémoire de l’humanité, lien entre les civilisations dont il véhiculera toutes les formes de pensée.

     En 1491, l’abbé de Cîteaux, Jean de Cirey, fait imprimer par Pierre Meltinger le recueil des privilèges de l’Ordre de Cîteaux, et fait dresser le catalogue des manuscrits dont plus de trois cents sont encore conservés à la Bibliothèque Municipale de Dijon.

     Au  cours  des  siècles  suivants,  cette  industrie  naissante  ne  cessera  de  se développer et le besoin de papier ne cessera de croître. (…)

     A l’heure d’internet et de la surcommunication, le papier reste une valeur où s’inscrit la mémoire des hommes et leur histoire.

Le bois et le vin

Moines cisterciens - Vin - Rencontres buissonnièresLe tonneau est apparu très tôt, dès l’apparition de la vigne et du vin dans l’Antiquité. A Cîteaux, grâce à la forêt de chênes environnante, les moines ont bénéficié de matières premières à leur portée, pour satisfaire leurs besoins dans l’élaboration et la conservation de leurs vins.

La constitution du domaine viticole de Cîteaux débute dès le 25 décembre 1098, avec la donation d’une première parcelle de vigne située à Meursault, offerte aux moines par leur grand protecteur de l’époque, Eudes Ier, duc de Bourgogne.

A l’époque, aucun monastère ne pouvait se concevoir sans une vigne pour produire son propre vin. Indispensable au service du culte, il servait surtout à la consommation des moines ainsi qu’aux voyageurs ou pèlerins, qui se voyaient offrir gîte et couvert.

Le bois de marine

La Mer, peinture de Micheline Reboulleau - Rencontres buissonnières     Les bateaux naissent en forêt ! Et le chêne est le matériau de construction navale par excellence. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, et ceci est mentionné dans tous les procès-verbaux d’aménagement, la marine emploie les chênes de la forêt domaniale de Cîteaux.

     Ainsi s’est développée la marine, grâce à l’usage du bois.   Le XVIème siècle en Europe est celui des grandes explorations. On découvre le monde et ses richesses. Des commerces s’établissent, des routes s’ouvrent, des guerres se succèdent, ponctuées de batailles navales.  Les navires s’ornent   de riches sculptures à la gloire du roi. L’âge d’or est atteint sous Louis XIV. On parle alors de « cathédrales flottantes ».

Les arbres de Cîteaux

Manuscrit Moyen-Age - Rencontres buissonnieresAujourd’hui, comme au Moyen-Âge, la forêt de Cîteaux est composée d’une chênaie mixte comprenant essentiellement des feuillus de chêne, de charme, de hêtre. Au plus près des étangs et des ruisseaux, elle accueille des frênes et des aulnes. (…)

La plupart des chênes sont d’ailleurs identifiés et référencés par l’ONF. L’un des plus remarquables est un chêne sessile mesurant 562 cm de circonférence (180 cm de diamètre) pour 40 m de hauteur. Son âge est estimé à plus de 300 ans. (…)

Les pieds souvent dans l’eau, le saule, l’aulne, le peuplier, le frêne peuplent les zones les plus humides. Mais même les bois blancs sont exploités.

Le bouleau, bois léger et très dur après une bonne exploitation, servait à la fabrication de sabots et ses branches à celle des balais.

Les fruitiers présents, pruniers, merisiers, alisiers torminaux, pommiers et poiriers assurent le couvert aux oiseaux et autres résidents.

Ainsi, les richesses innombrables de la forêt accommodaient le quotidien des hommes. Parallèlement, l’exploitation avertie des moines constitua une véritable aubaine pour la commercialisation d’un bois d’oeuvre de qualité et le développement du monastère.