Didier Mény – Père veilleur (extrait de « Tristan »)

       Ce matin, je suis retourné près des rails. J’ai ramassé trois pierres de granite sur le ballast. J’irai les déposer sur ta tombe. Les coquelicots étaient encore en fleur.

       Je suis ta mémoire, toi qui m’as précédé. Je suis ta mémoire et ton héritier. Et j’arrose les fleurs. Et je remplace lorsqu’il se brise le fil noir que j’ai noué autour de ta chaîne qui maintenant entoure mon cou.

       Je veillais naguère sur la fragilité de ta vie. Je veille aujourd’hui sur celle de ta mort.

       Dors. Laisse-moi fouiller dans tes cheveux. Dans l’odeur de tes cheveux d’enfant. Dans l’enfance de ton odeur. Dors. Laisse mes lèvres sur tes mains. Tes doigts. Dors. Laisse mes larmes laver sur ton corps les traces de la mort. Les chairs bleues de la violence. Les griffes de l’acier. Dors. Laisse mes larmes couler sur ta peau. Dors. N’écoute plus les cris, cache-toi des tristesses. Dors. Glisse sur les rêves de neige, ne quitte plus tes amis, aime aussi fort que tu veux. Dors. Ferme tes yeux sur l’ombre pâle des matins et remonte le drap sur le froid qui s’annonce. Dors. Laisse ton corps rêver et ton esprit courir. Tu n’as plus mal et la Terre a cessé d’être ronde : tu ne reviendras plus sur les pas du malheur. Dors. Le jour vient, la ville est encore soulignée de blanc, de rouge, de bleu. Un matin d’écharpe se lève sur un jour sans étoiles.

       Dors.

       Dors jusqu’au bout du monde.

       Je veille.