Didier Mény – Tombe, lieux de présence (extrait de « Tristan »)

       Tout à l’heure, comme chaque fois, j’ai caressé du bout des doigts sur ta tombe les lettres de ton prénom, humides des pluies de la nuit. L’eau du T, l’eau du R, l’eau du I, jusqu’au N. Et j’ai porté à ma bouche cette humidité sacrée pleine de toi, de notre amour. C’était tout à l’heure, c’était hier et le mois dernier.

Je ne suis pas guéri. 

       Tu es sous le soleil qui brûle et dans l’eau qui apaise, dans la sueur fraîche sous le vent d’un sentier d’alpage. Tu es entre mes bras, sous ma tête. Tu es le sel de mes larmes et le cri de ma colère. Tu es la nuit des baisers volés, tu es la nuit sous la lune et les étoiles, tu es la musique. Et je ne veux pas que tu sois mort, ta mort est trop longue.

       On ne peut pas parler de son fils mort. Pas avec des mots qui sortent de la bouche. On ne peut pas entendre son nom. Il faut l’encre ou les larmes pour tracer le nom du fils mort. Il faut que tu t ‘écoules, que tu glisses sur la page ou sur la joue.

Tu es indicible. Sous la langue et sur l’icône, au fond des yeux ou au creux de l’oreille : l’enfer où tu m’attires, où je te retrouve sans te rejoindre.

Aujourd’hui, il a plu sur ta tombe et l’eau a glissé sur la pierre blanche. J’ai envie de ta peau et de tes yeux ouverts.