Dominique

Témoignages - Rencontres buissonnièresD’entrée, les mots de Didier Mény, doux et dignes, justes et forts, m’empoignent le cœur et ne le lâchent plus qu’à la dernière phrase. Je suis en apnée, immergée dans le souffle triste de Didier, dans le chagrin et la colère de Didier d’avoir perdu son fils unique, Tristan. Ses propos ravivent ma plus grande terreur, celle de perdre aussi un de mes enfants ou de mes petits-enfants…Le silence absolu du public me fait ressentir que nous sommes tous en totale empathie avec le parcours tragique de Didier Mény et de son épouse, et que nous admirons leur choix de continuer d’aller vers la vie, par l’adoption de deux enfants.

Par son témoignage spontané, intime et troublant, je suis aussi particulièrement émue de découvrir Jérôme Garcin en éternel « petit garçon double » et orphelin de père, dans un grand corps d’homme. Je ressens profondément que ses blessures, même comprises, évoquées ou écrites, sont toujours bien vives. Son entêtement à vivre et travailler pour deux, voire pour  trois, fait écho avec ce que je partage avec « mes absents »… L’échange entre Jérôme Garcin et le fils de Jacques Chauviré est bouleversant !

Enfin, la belle voix claire de Nadine, et celle douce et enveloppante d’Etienne, tissent un cocon de tendresse autour de nous, comme pour nous consoler de ce trop-plein d’émotions…Je ressens tout au long de cette journée un rare sentiment de communion entre toutes les personnes présentes, qui se comprennent sans parler, et partagent le même sentiment d’ahurissement face à la disparition d’êtres chers…

Dominique

Marie-Claude

Témoignages - Rencontres buissonnièresUne journée à Cîteaux, une vie, des vies…

Quels mots trouver pour traduire mon émotion, sans l’affaiblir ?

Deux prénoms jaillissent, Tristan et Olivier, Tristan surtout.

En cette journée, dans le recueillement, nous écoutons. Et des vagues puissantes, bouleversantes, nous submergent, des visages se tendent, des larmes discrètes perlent sur nos joues. Avec pudeur, nous suivons le chemin douloureux de l’absence. Immobiles, dans le silence protecteur de l’abbaye de Cîteaux, croyants et non croyants sont là, réunis dans une grande communion.

Lectures, poèmes, musique, témoignages montent dans la douce lumière de la Chapelle. Un hommage poignant à tous ces « invisibles », à toutes ces vies qui ont su renaître de l’épreuve.

Les mots, ici, ont trouvé toute leur force.

Didier Mény

Cîteaux, 25 novembre 2015,

Revenir à Cîteaux pour y passer une journée entière fut le premier sourire de ce samedi 25 novembre. Cîteaux est un lieu que j’avais fréquenté naguère, à une époque où la vie monacale et singulièrement celle des cisterciens me fascinait.

Matin gris et humide avant la douceur pâle d’un premier soleil. Matinée où les mots furent importants, ceux de Francine, ceux du Père Abbé, ceux de Jérôme Garcin bien sûr qui nous a si bien dit qu’une vie et qu’une œuvre se construisent aussi avec la pâte grise des malheurs, dans le creux que les absences laissent en nous.

Quant à moi, je n’ai pas d’autre espoir que d’avoir été peut-être utile.

Journée de rencontres, de tendresse dans les yeux ; de douceur autant que de tristesse même si parfois l’émotion laissait les joues humides. Journée où la violence de l’absence qui logeait au cœur de nos lectures ou de nos propos, trouvait en écho, une forme de douceur partagée.

Dans la voix et la musique d’Etienne – si belles ; dans la voix et le regard de Dom Olivier, dans les gestes amicaux des uns et des autres. Une douceur qui offrait au cœur ce que les caresses font à la peau : l’émoi d’un frisson.

Et puis, puisque nous étions dans l’église lorsque Myriam a lu – si bien – des passages de Tristan, je n’ai pu m’empêcher et Lydie avec moi d’y voir comme une courte et émouvante cérémonie en l’hommage de ce fils absent. Un bref et fort instant offert à sa mémoire. Et je l’ai vécu avec d’autant plus d’émotion, que nos deux fils nous avaient fait la surprise d’être là, assis au fond de la nef, petits frères de Tristan.

Jacques et Nicole

Témoignages - Rencontres buissonnières« D’un enfant, un amour
L’absence est la même
Quand on a dit je t’aime
Un jour
Le silence est le même…
C’est une nuit qui tombe… »

Ce mot même extrait de la chanson de Serge Reggiani (initialement au programme de l’après-midi) explique à lui seul l’ambiance recueillie de cette forte journée.

Mêmes vécus, mêmes ressentis… une grande communion unissait tous les participants devant les propos riches des intervenants, la musique, les chansons. De bien inoubliables moments.

Véronique

Témoignages - Rencontres buissonnières 2017J’ai beaucoup apprécié cette journée qui mêlait si bien le sacré, le profane, l’humain, le divin, notre belle terre et le Ciel, nos invisibles et nous, bien vivants. Des moments très émouvants, qui m’ont beaucoup touchée, mais aussi beaucoup de retenue et de pudeur. Les deux interventions de la matinée, différentes dans la forme, ont apporté de riches et profonds témoignages. Quant aux diverses lectures, elles m’ont permis d’intérioriser et de redécouvrir avec plaisir Péguy. Enfin quelle belle idée d’y insérer la musique, reflet de nos âmes ! Le guitariste était formidable, la voix parfaitement adaptée aux mélodies espagnoles….nostalgiques à souhait.

 Et Cîteaux est décidément un haut lieu d’accueil et d’ouverture !

Bravo, quelle mise en place !

Jérôme Garcin – Bleus horizons (extrait)

       Le 8 septembre 1914, Jean reçut sa feuille de route. Il la baisa, la caressa, la respira. Il pleura aussi, mais de joie en lisant et relisant sa convocation. Car il était attendu, deux jours plus tard, à la caserne de Libourne où il partit avec cette ferveur que mettent les pèlerins à rejoindre Saint-Jacques-de-Compostelle, cette naïveté des enfants qui rentrent chez eux après des vacances en colonie. Le garçon que je rencontrai pour la première fois était heureux et si plein d’idéal qu’on l’eût dit inconscient du danger. Il ressemblait plus à un chevalier des croisades qu’à un soldat et attribuait à la protection de Dieu son invincibilité. Pourtant, il n’avait plus que deux mois à vivre. C’est quoi, deux mois ? Huit semaines, soixante jours, une broutille, un coup de vent, le temps d’un soupir, une éternité.

Jérôme Garcin – Le Voyant (extrait)

       Le 3 mai 1932, comme chaque matin, Jacques se rend, cartable sur le dos, lunettes aux verres incassables sur le nez, à l’école communale, située au 4 de la rue Cler, entre les Invalides et le Champ-de-Mars. Il traverse seul l’avenue Bosquet, enfile la rue Saint-Dominique et retrouve ses copains sous le porche, où l’on s’échange des images et des osselets. Il fait déjà beau, le printemps déborde, il inonde la classe. La leçon de calcul succède aux exercices de grammaire. A dix heures, la sonnerie annonce la récréation.

On se lève d’un bond. On se bouscule, se nargue, se défie-pour jouer, sans mesurer sa force. Par-derrière, un élève, en trébuchant, pousse Jacques, dont la tête heurte violemment un pupitre en bois blond maculé d’encre. Une branche de ses lunettes perce l’œil droit et l’arrache. La douleur est atroce. Tous les enfants crient. Alertés, les professeurs se précipitent. Le visage en sang, Jacques hurle : « Mes yeux ! Où sont mes yeux ? » Il vient de les perdre à jamais. En ce jour d’azur, de lilas et de muguet, il entre dans l’obscurité où seuls, désormais, les parfums, les sons et les formes auront des couleurs (…)

« J’étais atteint de cécité totale, écrira-t-il, longtemps après. J’avais été à deux pouces de la mort par méningite. J’étais aveugle : on me le dit aussitôt. Je fus à peine déçu. Je ne le crus pas vraiment. Je ne le crois pas encore. On me dit que j’étais aveugle : je n’en fis pas l’expérience. J’étais aveugle pour les autres. Moi, je l’ignorais, et je l’ai toujours ignoré, sinon par concession envers eux. ». Plus tard, il dira : « Je ne voyais plus avec les yeux de mon corps, je voyais avec les yeux de mon âme. »

Jérôme Garcin – Extraits de « La chute de cheval » et d’ « Olivier »

La chute de cheval

     Mon père est mort d’une chute de cheval le samedi 21 avril 1973, veille de Pâques, dans l’insoucieuse et très civilisée forêt de Rambouillet. Il avait quarante-cinq ans, j’allais en avoir dix-sept. Nous ne vieillirons pas ensemble.

Olivier

      Que reste-t-il de toi, qui ne t’es jamais posé, qui n’a pas su ce que croître veut dire, qui n’as pas eu le privilège de te retourner sur le chemin parcouru, qui n’as pas connu le poids infini des regrets et des remords, qui as si peu existé, à peine six années, un petit et fugitif nuage de poussière blanche, un vol de papillon égaré, un éclair de chaleur au-dessus des arbres centenaires ? Des photos en noir et blanc où tu ris à l’objectif qui tente de fixer ta merveilleuse évanescence ; des films en super-8 où tu cours trop vite, sans souci du danger, et que je ne regarde pas en boucle sans frémir ; une longue ride, qui ressemble à un ruisseau d’après l’orage, sur le beau et italien visage de notre mère ; une pierre blanche dans un cimetière de Seine-et-Marne, au bout de la longue route où un chauffard t’a renversé et projeté si haut en l’air qu’on eût dit que tu ne retomberais jamais ; l’image déchirée, déchirante, de ce drame qui n’en finit pas de me hanter ; ce tout petit tombeau de papier, encore plus léger que toi, que sans doute je ne relirai jamais, que j’ai sans doute écrit afin que ton prénom soit un jour imprimé, en capitales rouges, sur une couverture blanche ; et un vide en moi, où tout résonne, dont je ne parviens pas à mesurer ni la profondeur ni la largeur, mais qui semble grandir avec le temps, inéluctablement.

Après moi, de toi, il n’y aura plus rien. Vouloir te prolonger aura été une illusion.

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     Je crois à la secrète communion de tous ceux qui ont perdu un être chéri, plus particulièrement un enfant, et que relie une abondante littérature de l’infortune. Elle repose sur une illusion capitale : chaque expérience du deuil est unique, irréductible, en apparence incomparable, et pourtant, dès qu’elle est couchée sur le papier, elle devient universelle, chacun de nous peut s’y reconnaître. On y lit ce qu’on a le sentiment d’avoir soi-même écrit.

   Il fut un temps où, dans mes chroniques, je me moquais volontiers des essais d’un jeune professeur de littérature d’origine britannique qui enseignait en France et se piquait de modernité(…) Et puis un jour de 1997, je reçus de lui un livre intitulé L’Enfant éternel. Il y relatait l’agonie de sa fille, Pauline, terrassée à quatre ans par un cancer.

    Au retour de ses dernières vacances à la montagne, alors qu’il neigeait sur Paris, la petite s’était plainte d’une douleur intense au bras gauche, entre l’épaule et le coude. Une biopsie avait révélé la présence d’une tumeur. Le martyre de l’enfant allait durer seize mois. Philippe Forest était âgé de trente-quatre ans. Rien ne l’avait préparé à ce calvaire.

Didier Mény – Père veilleur (extrait de « Tristan »)

       Ce matin, je suis retourné près des rails. J’ai ramassé trois pierres de granite sur le ballast. J’irai les déposer sur ta tombe. Les coquelicots étaient encore en fleur.

       Je suis ta mémoire, toi qui m’as précédé. Je suis ta mémoire et ton héritier. Et j’arrose les fleurs. Et je remplace lorsqu’il se brise le fil noir que j’ai noué autour de ta chaîne qui maintenant entoure mon cou.

       Je veillais naguère sur la fragilité de ta vie. Je veille aujourd’hui sur celle de ta mort.

       Dors. Laisse-moi fouiller dans tes cheveux. Dans l’odeur de tes cheveux d’enfant. Dans l’enfance de ton odeur. Dors. Laisse mes lèvres sur tes mains. Tes doigts. Dors. Laisse mes larmes laver sur ton corps les traces de la mort. Les chairs bleues de la violence. Les griffes de l’acier. Dors. Laisse mes larmes couler sur ta peau. Dors. N’écoute plus les cris, cache-toi des tristesses. Dors. Glisse sur les rêves de neige, ne quitte plus tes amis, aime aussi fort que tu veux. Dors. Ferme tes yeux sur l’ombre pâle des matins et remonte le drap sur le froid qui s’annonce. Dors. Laisse ton corps rêver et ton esprit courir. Tu n’as plus mal et la Terre a cessé d’être ronde : tu ne reviendras plus sur les pas du malheur. Dors. Le jour vient, la ville est encore soulignée de blanc, de rouge, de bleu. Un matin d’écharpe se lève sur un jour sans étoiles.

       Dors.

       Dors jusqu’au bout du monde.

       Je veille.