Le temps

d’Abdelatif Laâbi (L’automne promet)

Partagé avec nous par Dominique (Dijon)

 

Peut-il avoir une couleur ?

Jour vert ?

Heure jaune ?

Seconde noire ?

Questions de l’enfant

Avant qu’on ne lui apprenne

A dessiner.

 

Abdelatif Laâbi

Coronanimbus

de Philippe (Dijon)

aquarelle - Anne Le Maître - Rencontres buissonnières
© Anne Le Maître – Aquarelle

Eh oui, avec ce coronavirus
Il nous faut changer tous nos us.

Pour les Parisiens ce fut Exodus
Certains ont fui jusque Fréjus
D’autres se sont arrêtés à Tournus.

Les cloches ne sonnent plus, plus d’angélus
Mais prions quand même, oremus.

En fac j’ai dû interrompre mon cursus
Plus aucun cours sur le campus.

Dans ma boîte aux lettres plus de prospectus.

De mon balcon je regarde pousser les crocus
J’ai même aperçu quelques sabots de vénus.

Moi qui rêvais de photos sans aucun gus
Pas de chance j’ai dû ranger mon autofocus.

Quand vous sortez pour le pain pas besoin de gibus
Mais surtout n’oubliez pas votre papyrus.

Plus d’autobus, plus d’airbus
Tout le monde pedibus.

Je surveille mes voisins depuis mon oculus
Pour voir si l’un d’eux sort, un minus, un olibrius.

Relaxez-vous écoutez du Charlie Mingus
Ou des musiciens classiques quelque opus.

Comme on ne dépense plus rien, on va devenir de vrais Crésus.

Plus de kilomètres c’est tout bonus
Ma voiture va surcôter à l’Argus.

Pour ne pas grossir je mange des bifidus
Il paraît, en plus, que c’est bon contre l’infarctus.

Profitez-en
Faites du tri dans vos détritus
Vous pourrez plus tard les porter chez Emmaüs.

Restez zen, méditez, relisez Confucius
Faites du yoga surtout la position du lotus.

Mais j’arrête là mon laïus
Car sinon vous en aurez bientôt plein l’anus.

Enfin nous vaincrons, je le soutiens mordicus
Pourvu que ce ne soit pas une victoire à la Pyrrhus.

Mais pour sortir de ce blocus
Comme on l’entend à l’envi il faut un fort consensus. 

Mais je sais que vous n’avez pas besoin de stimulus
Vous ne faites pas partie du vulgum pecus.

Hosanna Hosanna Sanctus
Allez, c’est tout pour aujourd’hui : terminus !

All’alba vincero

Extrait de Turandot de Puccini

Partagé avec nous par Luisa (Italie) comme symbole d’espoir dans la lutte commune de nos pays contre le coronavirus

Nessun dorma! Nessun dorma!
Tu pure, oh Principessa
Nella tua fredda stanza
Guardi le stelle che tremano
D’amore e di speranza

Ma il mio mistero è chiuso in me
Il nome mio nessun saprà
No, no, sulla tua bocca lo dirò
Quando la luce splenderà
Ed il mio bacio scioglierà
Il silenzio che ti fa mia

(ll nome suo nessun saprà
E noi dovrem, ahimè, morir, morir)

Dilegua, oh notte
Tramontate, stelle
Tramontate, stelle
All’alba vincerò
Vincerò vincerò

Que personne ne dorme ! Que personne ne dorme !
Toi aussi, ô princesse,
Dans ta pièce froide,
Tu regardes les étoiles qui tremblent
D’amour et d’espoir 

Mais mon mystère est enfermé en moi,
Mon nom, personne ne saura 
Non, non sur ta bouche, je le dirai
Quand la lumière resplendira 
Et mon baiser brisera
Le silence qui te fait mienne

(Son nom personne ne saura
Et nous, hélas, devrons mourir mourir)


Dissipe-toi, ô nuit
Couchez-vous étoiles
Couchez-vous étoiles
A l’aube, je vaincrai
Je vaincrai Je vaincrai

Rencontres buissonnieres - Andrea Bocelli

Un espoir virulent

de Carl Norac en tant que Poète national belge

partagé avec nous par Colette Nys-Mazure
Les Mot doux - Carl Norac - Rencontres buissonnières

Une des missions du Poète National est d’écrire, durant son mandat, douze poèmes liés à l’actualité ou l’histoire de notre pays. En cette période de crise sanitaire, il a pris à bras le corps ce sujet qui nous touche tous : le coronavirus. Traité avec douceur, caractère et une pointe d’humour, Carl Norac nous offre ainsi quelques mots de poésie qui apaisent les angoisses de ces jours difficiles…


Un espoir virulent

J’ai attrapé la poésie.
Je crois que j’ai serré la main
à une phrase qui s’éloignait déjà
ou à une inconnue qui avait une étoile dans la poche.
J’ai dû embrasser les lèvres d’un hasard
qui ne s’était jamais retourné vers moi.
J’ai attrapé la poésie, cet espoir virulent.

Voilà un moment que ce clair symptôme de jeter
les instants devant soi était devenu une chanson.
Ne plus être confiné dans un langage étudié,
s’emparer du mot libre, exister, résister
et prendre garde à ceux qui parlent d’un pays mort
alors que ce pays aujourd’hui nous regarde.

À présent, on m’interroge, c’était écrit :
« Votre langue maternelle ? »  Le souffle.
« Votre permis de séjour ? »  La parole.
« Vous avez chopé ça où ? »  Derrière votre miroir.
« C’est quoi alors votre dessein, étranger ? »
Que les mots soient au monde,
même quand le monde se tait.

J’ai attrapé la poésie.
Avec, sous les doigts, une légère fièvre,
je crève d’envie de vous la refiler,
comme ça, du bout des lèvres.

Moment de grâce

de Christine Gogeon

partagé avec nous par Isabelle Vajra
Rencontres buissonnières

« Lorsque Francine Ohet m’a proposé de participer à la « propagation poétique » pour les Amis de Cîteaux et les amis des mots plus largement,  le premier poème qui m’est venu à l’esprit est celui d’une amie, Christine Gogeon, que j’avais eu la chance d’écouter lire ce poème dans un cercle de paroles théâtral il y a quelques années. Ce poème s’intitule « Moment de grâce ».
J’ai ensuite pensé au poète, compositeur et interprète, Julos Beaucarne, si connu et aimé, admiré en Belgique qu’il suffit de prononcer son prénom pour savoir qu’il s’agit de lui.J’ai ainsi choisi le poème « Femmes et hommes » de Julos, mis en forme graphique et esthétique par André et Jeannine Castermane, mes amis belges et accompagné de la version enregistrée par Julos lui-même.
 » Isabelle Vajra


Moment de grâce

Moment fugace, moment de grâce,
Instant impromptu, parmi cette cohue,
Concentration assurée, bien que bousculée,
Notes qui s’envolent, dans des mélopées folles.

Mais que faites donc vous là,
Dans ce croisement cra-cra ?
Les gens ne vous voient pas
Et beaucoup ne vous écoutent pas !

Emmurés dans leur pensées,
Pressés d’y arriver,
Sans prendre le temps de respirer
Comme en apnée.

Mais que sont-ils devenus
Ces êtres qui se ruent
Pour prendre leur métro
Sans entendre votre tempo ?

Dans ce monde qui va si vite
Ils ont oublié une chose.
Pour ne pas mourir trop vite,
Il faut savoir faire une pause.

La musique reprend et les notes s’envolent.
Certains passants s’arrêtent… la magie opère.
Ma tête se vide et mes pensées errent.
J’ai envie de valser… mais quelle idée folle !

Mon corps est toujours là,
Ma tête… eh bien, je ne sais pas !
Je dois y aller mais à grand regret !
Petit moment de grâce que j’ai apprécié.

Femmes et hommes

de Julos Beaucarne

(Le Jaseur Boréal)
partagé avec nous par Isabelle Vajra

« Lorsque Francine Ohet m’a proposé de participer à la « propagation poétique » pour les Amis de Cîteaux et les amis des mots plus largement,  le premier poème qui m’est venu à l’esprit est celui d’une amie, Christine Gogeon, que j’avais eu la chance d’écouter lire ce poème dans un cercle de paroles théâtral il y a quelques années. Ce poème s’intitule « Moment de grâce ».
J’ai ensuite pensé au poète, compositeur et interprète, Julos Beaucarne, si connu et aimé, admiré en Belgique qu’il suffit de prononcer son prénom pour savoir qu’il s’agit de lui. J’ai ainsi choisi le poème « Femmes et hommes » de Julos, accompagné de la version enregistrée par Julos lui-même.
 » Isabelle Vajra



Femmes et hommes

Femmes et hommes de la texture
De la parole et du vent qui tissez des tissus de mots
Au bout de vos dents ne vous laissez pas attacher
Ne permettez pas qu’on fasse sur vous
Des rêves impossibles
On est en amour avec vous
Tant que vous correspondez au rêve que l’on a fait
Sur vous alors le fleuve Amour coule tranquille
Les jours sont heureux sous les marronniers mauves
Mais s’il vous arrive de ne plus être
Ce personnage qui marchait dans le rêve
Alors soufflent les vents contraires
Le bateau tangue, la voile se déchire
On met les canots à la mer
Les mots d’amour deviennent des mots couteaux
Qu’on vous enfonce dans le cœur
La personne qui hier vous chérissait
Aujourd’hui vous hait
La personne qui avait une si belle oreille
Pour vous écouter pleurer et rire
Ne peut plus supporter le son de votre voix
Plus rien n’est négociable
On a jeté votre valise par la fenêtre
Il pleut et vous remontez la rue
Dans votre pardessus noir
Est-ce aimer que de vouloir que l’autre
Quitte sa propre route et son propre voyage
Est-ce aimer que d’enfermer l’autre
Dans la prison de son propre rêve
Femmes et hommes de la texture de la parole et du vent
Qui tissez des tissus de mots
Au bout de vos dents
Ne vous laissez pas rêver
Par quelqu’un d’autre que vous-même
Chacun a son chemin
Qu’il est seul parfois à comprendre
Femmes et hommes de la texture de la parole et du vent
Si nous pouvions être d’abord toutes et tous
Et avant tout et premièrement
Des amants de la vie
Alors nous ne serions plus ces éternels
Questionneurs ces éternels mendiants
Qui perdent tant d’énergie et tant de temps
A attendre des autres des signes
Des baisers, de la reconnaissance
Si nous étions avant tout et premièrement
Des amants de la vie
Tout nous serai cadeau
Nous ne serions jamais déçus
On ne peut se permettre de rêver que sur soi-même
Moi seul connais le chemin qui conduit
Au bout de mon chemin
Chacun est dans sa vie et dans sa peau
A chacun sa texture, son tissage et ses mots…

Amitié

de José Luis Borges

partagé avec nous par Luisa

Je ne peux donner des solutions à tous les problèmes de ta vie ni répondre à tes doutes et à tes craintes, mais je peux t’écouter et essayer de chercher avec toi.

Je ne peux changer ni ton passé ni ton futur, mais quand tu auras besoin de moi, je serai avec toi. Je ne peux éviter que tu tombes, mais seulement t’offrir ma main pour que tu t’accroches et puisses te relever. Je ne peux t’épargner la souffrance qui te brise le cœur, mais je peux pleurer avec toi et t’aider à recueillir les morceaux pour les rassembler à nouveau.

Je ne juge pas tes décisions, je me contente de t’appuyer, te stimuler et t’aider si tu me le demandes. Tes joies, tes triomphes et tes succès ne sont pas les miens, mais je me réjouis sincèrement quand je te vois heureux.

Je ne peux pas fixer des limites à ton action, mais je peux t’offrir l’espace dont tu auras besoin pour grandir.

Je ne peux te dire qui tu es ni qui tu devrais être, mais seulement t’aimer comme tu es et être ton ami.

Aujourd’hui, j’ai prié pour toi…

Aujourd’hui, je me suis souvenu de mes amitiés les plus précieuses. 

Je suis une personne heureuse, j’ai plus d’amis que je ne pouvais l’imaginer. Je vois le brillant de leurs yeux, le sourire spontané et la joie qu’ils éprouvent quand ils me voient. Et quand je les rencontre, quand je leur parle, je suis comblé de paix et d’allégresse.

Aujourd’hui, j’ai pensé à mes amis et parmi eux, tu es apparu. Tu n’étais ni en tête de liste, ni à la fin. Tu n’étais pas le premier, ni le dernier. Ce que je sais, c’est que tu dépassais les autres par une qualité que tu étais le seul capable de transmettre  et par laquelle depuis longtemps tu enrichis ma vie. Et moi, je n’ai pas non plus la prétention d’être la première personne, la seconde ou la troisième de la liste. Que tu me considères comme ami me suffit.

Alors j’ai compris que réellement nous sommes des amis. J’ai donc fait ce que tout bon ami fait pour l’autre : j’ai prié…et j’ai remercié Dieu de m’avoir offert ce cadeau d’un ami comme toi. Ce fut une prière de remerciement, car tu donnes de la valeur à ma vie.

Introduction à la journée du 16 novembre 2019 à Cîteaux

L’amour sourcier : Claude Nougaro-Henri Guérin

Bonjour à tous. Nous voici réunis en ce 16 novembre 2019 pour cette nouvelle rencontre automnale à Cîteaux, mystérieusement intitulée L’amour sourcier, lors de laquelle il va être beaucoup question de l’amitié qui a uni Claude Nougaro, célèbre chanteur, et Henri Guérin, maître verrier renommé.

Au groupe de nos adhérents et sympathisants habituels sont venus s’ajouter des membres de l’association Claude Nougaro et de l’association Henri Guérin, et dans ce lieu de haute spiritualité qu’est l’abbaye de Cîteaux, vont se côtoyer le temps d’une journée des personnes venues de Belgique, et de diverses régions de France : Occitanie, Hauts de France, Provence Alpes Côte d’Azur, Auvergne Rhône Alpes, Grand Est, Pays de la Loire, Ile de France. Qu’elles soient les bienvenues en Bourgogne, le jour même où ont lieu à Beaune les fameuses Ventes des Hospices. 

Pourquoi cette évocation de Claude Nougaro et Henri Guérin ? Il se trouve que Claude Nougaro aurait eu 90 ans en cet automne 2019, et l’an dernier, sa femme Hélène m’a téléphoné pour me demander si je pourrais organiser une rencontre en rapport avec la personnalité de Claude. Marie-France, secrétaire de l’association Nougaro, tenait beaucoup à ce que cette rencontre ait lieu à Cîteaux. 

A Cîteaux ? Dans un premier temps, je fus ébahie et perplexe. Car je ne voulais surtout pas déformer la réalité et donner de Claude, dont le moins qu’on puisse dire est que sa vie ne fut pas celle d’un saint ou d’un anachorète, une image trafiquée, artificielle. Et puis il fallait que Dom Olivier, le Père abbé, plus familier des cantiques que des chansons nougaresques au langage vigoureux et pleines de rythme, accepte ce nouveau projet de Rencontres buissonnières, un peu trop fantaisiste peut-être. 

Mais une fois de plus, je ne fus pas déçue et une fois de plus, il accorda sa confiance à notre association. Il trouva que cette phrase écrite en haut de notre brochure était très belle : « L’amour est bien la seule clé qui nous ouvre à l’Eternel. » Or, ce n’était pas une phrase tirée de la Bible, c’était une phrase de Claude Nougaro.

Cette étape franchie, il fallait construire la trame de cette journée. Hélène qui, malgré les nombreux livres écrits sur Claude, trouvait que sa quête de spiritualité n’avait pas été assez mise en valeur, me suggéra de faire appel à Jacques Bonnadier, journaliste marseillais qui connaissait bien Claude, avait souvent échangé avec lui autour d’une soupe au pistou ou d’un loup au fenouil, et l’avait enregistré pour une série d’émissions radiophoniques regroupées sous le titre L’Amour sourcier, titre que nous lui avons emprunté pour cette journée. C’est lui, ce matin, qui va prendre d’abord la parole et évoquer les sources-d’ordre spirituel-d’où vient Claude Nougaro et plus tard, celles qu’il a cherchées pour s’y abreuver. Avec à l’appui des enregistrements sonores et des projections d’images. A l’accent toulousain de Claude que nous feront revivre les vidéos, se mêlera l’accent ensoleillé de Jacques, Marseillais pure souche. 

Autre idée qu’Hélène me suggéra : contacter Sophie Guérin Gasc, fille du maître verrier Henri Guérin, habitant près de Toulouse. Ce qui permit au projet de s’étoffer, une très belle Amitié ayant lié de leur vivant Claude Nougaro, « capitaine des mots dans une mer de musique » comme il se définissait lui-même, et Henri Guérin, dont l’ultime vitrail fut posé en 2009 dans la crypte de la cathédrale de Chartres. Claude l’angoissé, le tourmenté, l’excessif dans toutes sortes de domaines, et Henri, profondément croyant, amoureux du recueillement, de la solitude et du silence. Tous deux à la fois très différents et très proches. Tous deux poètes. Tous deux  à la recherche sur cette terre de la beauté et de la bonté mêlées, en quête d’absolu. C’est Henri qui, en l’église Saint-Sernin de Toulouse, le 10 mars 2004, prononça l’éloge funèbre de Claude. Et aujourd’hui, c’est Sophie, sa fille, qui prendra la parole à la suite de Jacques, en fin de matinée, pour nous présenter l’oeuvre de son père, dont elle a apporté quelques pièces. Cet après-midi, nous retrouverons Sophie et Jacques qui nous parleront de la correspondance entre Claude et Henri, révélatrice de leur personnalité respective. Au long de cette journée, Hélène lira quelques textes et ajoutera quelques commentaires. C’est elle, bien sûr, qui a le mieux connu Claude, et nous sommes tous heureux qu’elle soit parmi nous aujourd’hui. Hélène, que Claude appelait « la femme de ma mort » et à qui il a dédié ce chef-d’oeuvre de chanson qu’est L’île Hélène. Merci à elle de nous avoir permis de reproduire dans notre brochure des photos personnelles. Quand j’ai découvert la brochure imprimée, ma première réaction a été de trouver trop sombre la photo couleur de la page 14. Mais après coup, je l’ai trouvée symbolique, Hélène attirant à la fois le regard de Claude et la lumière.

Dans toute cette préparation, Raymond, fan absolu de Claude Nougaro, a été précieux, qu’il en soit remercié. Il l’est encore ô combien en ce jour, car il a la responsabilité délicate et parfois imprévisible de la technique auditive et numérique.

Quant à Nadine et Marie-Claude, membres du trio Tapatou que tous nos adhérents connaissent et apprécient, elles étaient déjà à mes côtés en juin 2002, quand Claude Nougaro nous avait fait l’honneur de venir en personne dans notre modeste collège de Talant. Nadine, ma collègue de musique et moi-même, avions travaillé pendant toute l’année scolaire pour préparer la venue de notre prestigieux invité. Francis, fils de Marie-Claude et de Jean, s’était joint à elles. Dix-sept ans après, c’est beau de se retrouver unis dans le même élan, en compagnie de Jean, le guitariste du trio.Malgré l’absence de Claude, qui est en fait toujours là, invisible mais présent.

Le trio Tapatou interviendra à plusieurs reprises au fil de la journée, au gré des besoins de Jacques et Sophie. Et pour clore la journée en musique, Isabelle Vajra, qui était déjà venue à Cîteaux il y a 4 ans pour la journée Gabriel Ringlet, qui avait chanté avec beaucoup de sensibilité dans l’église des chansons de Barbara, nous offrira un mini-récital composé de chansons de Claude, qu’elle a bien connu. Claude avait écrit à son propos qu’elle était « fervente et profonde ». Elle nous le prouvera encore ce soir. 

Les deux amis, Henri et Claude, auraient aimé Cîteaux, j’en suis sûre. Pour l’atmosphère de paix qui y règne, pour l’ouverture d’esprit aussi dont fait preuve la communauté. A mon avis, Henri aurait été conquis d’emblée. 

Claude aurait été davantage sur ses gardes, ayant fait à l’abbaye de Solesmes une tentative de retraite qui n’avait duré qu’une nuit et dont il avait conclu qu’il s’était senti-je le cite- « complètement étranger à cette croisière mystique. » Je pense que Jacques et Hélène reviendront sur cet épisode au cours de la journée. Episode qui peut prêter à sourire, mais qui montre que Claude, étonné lui-même par le nombre important de fois où le mot DIEU est présent dans ses chansons, avait le sens du sacré et aspirait à plus grand que lui. On a trop peu insisté sur le fait qu’il était en quête de beauté, d’harmonie, de fraternité, d’amour,d’espérance. Profondément marqué par ses origines chrétiennes, il aspirait à une certaine innocence et pureté. « L’homme est peut-être l’ouvrier du divin », a-t-il écrit. Et aussi : « Je suis, j’étais contaminé par une religion de la souffrance et j’essaie de m’en dégager en souffrant. Il faut que l’ Eglise m’enseigne désormais le chemin de la joie. » Et aussi : « J’aime chanter dans des lieux très beaux. Pour tenter d’être à la hauteur. »

Alors Claude, vous qui avez eu une grande importance dans ma vie personnelle, je ne peux m’empêcher de m’adresser à vous comme si vous étiez vivant, car aujourd’hui, tous ensemble, nous allons vivre votre absence comme une présence. Vous allez chanter dans ce lieu très beau qu’est Cîteaux, entouré de votre famille de cœur. Dommage que vous n’ayez pas connu Dom Olivier, car lui aurait été capable de vous enseigner le chemin de la joie. Si vous aviez décidé de vous confesser, il vous aurait écouté attentivement et avec son sourire habituel, faisant fi de votre notoriété, sans doute aurait-il été plein d’indulgence par rapport à vos excès, vous aurait-il cité une parole de l’Evangile et vous aurait-il encouragé à poursuivre ce que vous faisiez déjà : « semer chez les autres, sinon un paradis, du moins un espace terrestre et humain pas trop tragique . »

Ces dernières paroles ne sont pas de moi, mais de Claude Nougaro . Belle journée à tous.

Francine OHET

Annick

Témoignages - Rencontres buissonnières 2017

J’avais quinze ans lorsque je découvris Claude Nougaro. C’était un samedi, après le journal télévisé de la mi-journée. Une émission de reportage était consacrée à celui qui venait de remporter deux Victoires de la musique. Apparut alors un petit taureau en veste à franges, qui chantait Vive l’alexandrin et dont l’énergie crevait l’écran. Je reçus ce texte comme un uppercut. L’émission à peine terminée, je me précipitai chez mon disquaire et revins chez moi avec les cassettes de « Nougayork » et de « Pacifique ».

Trente ans plus tard, l’enquête que j’ai menée pour préparer un article consacré à l’hommage que Notre-Dame de Paris a rendu à Claude Nougaro (https://www.revuedesdeuxmondes.fr/lhommage-de-notre-dame-de-paris-a-claude-nougaro/) me conduisit à l’abbaye de Cîteaux. Âme des « Rencontres buissonnières », Francine Ohet a eu la délicatesse de m’inviter à prendre part à la journée durant laquelle Hélène Nougaro et Sophie Guérin Gasc évoquèrent la relation amicale qui unit Claude Nougaro et Henri Guérin pendant un quart de siècle. Accompagnées par Jacques Bonnadier, elles ont eu la générosité de nous faire partager la dimension la plus intime de cette amitié : la quête spirituelle de ces deux artistes, que révèle leur correspondance et qui apparaît de façon éclatante dans leur œuvre – ce dont témoignèrent les chansons de Claude Nougaro, savamment choisies par Raymond Lernould ou interprétées par le trio Tapatou, qui ponctuèrent cette journée, ainsi que les vitraux et les gouaches d’Henri Guérin que nous montra sa fille Sophie. Quand nous fûmes parvenus au terme de cette correspondance, l’émotion étreignait nos cœurs. Le récital que nous offrit Isabelle Vajra nous permit de reprendre notre souffle.

Au sein du cocon de l’abbaye de Cîteaux, et grâce à l’accueil bienveillant des moines, nous nous sommes réchauffés à la flamme qui anima Claude Nougaro et Henri Guérin tout au long de leur vie : celle de l’espérance en l’homme. Cette rencontre l’a ravivée en chacun d’entre nous. Faisons en sorte qu’elle brûle longtemps.

Annick Steta

Catherine S.

Témoignages - Rencontres buissonnières

Quelle magnifique journée que celle vécue à Citeaux ce samedi 16 novembre 2019, placée sous l’égide de ce très grand homme et poète que fut Claude Nougaro !

Sensation profonde et délicieuse de découvrir vraiment, à travers les témoignages fournis, le florilège de textes de chansons choisis, dévoilé au-delà de l’absence par le miracle de l’enregistrement ou réinterprétés par des voix féminines actuelles, un vrai troubadour – teinté de catharisme – issu du Moyen-Âge, nous livrant, avec profusion et amour, des tonnes de paroles d’or ciselées et nourrissantes.

Quel plus bel hommage offert au public que la présence de proches comme Hélène, sa femme, ou Sophie, la fille de l’ami cher Henri Guérin, pour nous faire pénétrer dans l’antre du travail alchimique de Claude : oeuvrer patiemment dans le creuset de la Solitude et de l’Ecriture, avec l’oeil vigilant de l’Esprit en éveil, en transformant la Matière fournie par la Réalité avec ses expériences belles ou douloureuses, pour finalement faire jaillir l’or à partir de l’inspiration, du souffle de Vie et de la Création. Savoir alors, dans la phase finale, communier avec le public par une voix chaude et profonde et par une musique choisie, en faisant jaillir des étincelles capables de réchauffer les coeurs, de réveiller les âmes et d’enchanter les corps présents dans la magie du spectacle.

Moi, amoureuse de la littérature, du joyau de la Poésie, j’ai été touchée au coeur par la grâce de ce grand poète que fut Claude, cette belle personne qui a su si bien transcender sa vie par l’écriture. Merci à toi Claude. Par toi, une fois encore, le Verbe s’est fait Chair !