Introduction à la journée du 16 novembre 2019 à Cîteaux

L’amour sourcier : Claude Nougaro-Henri Guérin

Bonjour à tous. Nous voici réunis en ce 16 novembre 2019 pour cette nouvelle rencontre automnale à Cîteaux, mystérieusement intitulée L’amour sourcier, lors de laquelle il va être beaucoup question de l’amitié qui a uni Claude Nougaro, célèbre chanteur, et Henri Guérin, maître verrier renommé.

Au groupe de nos adhérents et sympathisants habituels sont venus s’ajouter des membres de l’association Claude Nougaro et de l’association Henri Guérin, et dans ce lieu de haute spiritualité qu’est l’abbaye de Cîteaux, vont se côtoyer le temps d’une journée des personnes venues de Belgique, et de diverses régions de France : Occitanie, Hauts de France, Provence Alpes Côte d’Azur, Auvergne Rhône Alpes, Grand Est, Pays de la Loire, Ile de France. Qu’elles soient les bienvenues en Bourgogne, le jour même où ont lieu à Beaune les fameuses Ventes des Hospices. 

Pourquoi cette évocation de Claude Nougaro et Henri Guérin ? Il se trouve que Claude Nougaro aurait eu 90 ans en cet automne 2019, et l’an dernier, sa femme Hélène m’a téléphoné pour me demander si je pourrais organiser une rencontre en rapport avec la personnalité de Claude. Marie-France, secrétaire de l’association Nougaro, tenait beaucoup à ce que cette rencontre ait lieu à Cîteaux. 

A Cîteaux ? Dans un premier temps, je fus ébahie et perplexe. Car je ne voulais surtout pas déformer la réalité et donner de Claude, dont le moins qu’on puisse dire est que sa vie ne fut pas celle d’un saint ou d’un anachorète, une image trafiquée, artificielle. Et puis il fallait que Dom Olivier, le Père abbé, plus familier des cantiques que des chansons nougaresques au langage vigoureux et pleines de rythme, accepte ce nouveau projet de Rencontres buissonnières, un peu trop fantaisiste peut-être. 

Mais une fois de plus, je ne fus pas déçue et une fois de plus, il accorda sa confiance à notre association. Il trouva que cette phrase écrite en haut de notre brochure était très belle : « L’amour est bien la seule clé qui nous ouvre à l’Eternel. » Or, ce n’était pas une phrase tirée de la Bible, c’était une phrase de Claude Nougaro.

Cette étape franchie, il fallait construire la trame de cette journée. Hélène qui, malgré les nombreux livres écrits sur Claude, trouvait que sa quête de spiritualité n’avait pas été assez mise en valeur, me suggéra de faire appel à Jacques Bonnadier, journaliste marseillais qui connaissait bien Claude, avait souvent échangé avec lui autour d’une soupe au pistou ou d’un loup au fenouil, et l’avait enregistré pour une série d’émissions radiophoniques regroupées sous le titre L’Amour sourcier, titre que nous lui avons emprunté pour cette journée. C’est lui, ce matin, qui va prendre d’abord la parole et évoquer les sources-d’ordre spirituel-d’où vient Claude Nougaro et plus tard, celles qu’il a cherchées pour s’y abreuver. Avec à l’appui des enregistrements sonores et des projections d’images. A l’accent toulousain de Claude que nous feront revivre les vidéos, se mêlera l’accent ensoleillé de Jacques, Marseillais pure souche. 

Autre idée qu’Hélène me suggéra : contacter Sophie Guérin Gasc, fille du maître verrier Henri Guérin, habitant près de Toulouse. Ce qui permit au projet de s’étoffer, une très belle Amitié ayant lié de leur vivant Claude Nougaro, « capitaine des mots dans une mer de musique » comme il se définissait lui-même, et Henri Guérin, dont l’ultime vitrail fut posé en 2009 dans la crypte de la cathédrale de Chartres. Claude l’angoissé, le tourmenté, l’excessif dans toutes sortes de domaines, et Henri, profondément croyant, amoureux du recueillement, de la solitude et du silence. Tous deux à la fois très différents et très proches. Tous deux poètes. Tous deux  à la recherche sur cette terre de la beauté et de la bonté mêlées, en quête d’absolu. C’est Henri qui, en l’église Saint-Sernin de Toulouse, le 10 mars 2004, prononça l’éloge funèbre de Claude. Et aujourd’hui, c’est Sophie, sa fille, qui prendra la parole à la suite de Jacques, en fin de matinée, pour nous présenter l’oeuvre de son père, dont elle a apporté quelques pièces. Cet après-midi, nous retrouverons Sophie et Jacques qui nous parleront de la correspondance entre Claude et Henri, révélatrice de leur personnalité respective. Au long de cette journée, Hélène lira quelques textes et ajoutera quelques commentaires. C’est elle, bien sûr, qui a le mieux connu Claude, et nous sommes tous heureux qu’elle soit parmi nous aujourd’hui. Hélène, que Claude appelait « la femme de ma mort » et à qui il a dédié ce chef-d’oeuvre de chanson qu’est L’île Hélène. Merci à elle de nous avoir permis de reproduire dans notre brochure des photos personnelles. Quand j’ai découvert la brochure imprimée, ma première réaction a été de trouver trop sombre la photo couleur de la page 14. Mais après coup, je l’ai trouvée symbolique, Hélène attirant à la fois le regard de Claude et la lumière.

Dans toute cette préparation, Raymond, fan absolu de Claude Nougaro, a été précieux, qu’il en soit remercié. Il l’est encore ô combien en ce jour, car il a la responsabilité délicate et parfois imprévisible de la technique auditive et numérique.

Quant à Nadine et Marie-Claude, membres du trio Tapatou que tous nos adhérents connaissent et apprécient, elles étaient déjà à mes côtés en juin 2002, quand Claude Nougaro nous avait fait l’honneur de venir en personne dans notre modeste collège de Talant. Nadine, ma collègue de musique et moi-même, avions travaillé pendant toute l’année scolaire pour préparer la venue de notre prestigieux invité. Francis, fils de Marie-Claude et de Jean, s’était joint à elles. Dix-sept ans après, c’est beau de se retrouver unis dans le même élan, en compagnie de Jean, le guitariste du trio.Malgré l’absence de Claude, qui est en fait toujours là, invisible mais présent.

Le trio Tapatou interviendra à plusieurs reprises au fil de la journée, au gré des besoins de Jacques et Sophie. Et pour clore la journée en musique, Isabelle Vajra, qui était déjà venue à Cîteaux il y a 4 ans pour la journée Gabriel Ringlet, qui avait chanté avec beaucoup de sensibilité dans l’église des chansons de Barbara, nous offrira un mini-récital composé de chansons de Claude, qu’elle a bien connu. Claude avait écrit à son propos qu’elle était « fervente et profonde ». Elle nous le prouvera encore ce soir. 

Les deux amis, Henri et Claude, auraient aimé Cîteaux, j’en suis sûre. Pour l’atmosphère de paix qui y règne, pour l’ouverture d’esprit aussi dont fait preuve la communauté. A mon avis, Henri aurait été conquis d’emblée. 

Claude aurait été davantage sur ses gardes, ayant fait à l’abbaye de Solesmes une tentative de retraite qui n’avait duré qu’une nuit et dont il avait conclu qu’il s’était senti-je le cite- « complètement étranger à cette croisière mystique. » Je pense que Jacques et Hélène reviendront sur cet épisode au cours de la journée. Episode qui peut prêter à sourire, mais qui montre que Claude, étonné lui-même par le nombre important de fois où le mot DIEU est présent dans ses chansons, avait le sens du sacré et aspirait à plus grand que lui. On a trop peu insisté sur le fait qu’il était en quête de beauté, d’harmonie, de fraternité, d’amour,d’espérance. Profondément marqué par ses origines chrétiennes, il aspirait à une certaine innocence et pureté. « L’homme est peut-être l’ouvrier du divin », a-t-il écrit. Et aussi : « Je suis, j’étais contaminé par une religion de la souffrance et j’essaie de m’en dégager en souffrant. Il faut que l’ Eglise m’enseigne désormais le chemin de la joie. » Et aussi : « J’aime chanter dans des lieux très beaux. Pour tenter d’être à la hauteur. »

Alors Claude, vous qui avez eu une grande importance dans ma vie personnelle, je ne peux m’empêcher de m’adresser à vous comme si vous étiez vivant, car aujourd’hui, tous ensemble, nous allons vivre votre absence comme une présence. Vous allez chanter dans ce lieu très beau qu’est Cîteaux, entouré de votre famille de cœur. Dommage que vous n’ayez pas connu Dom Olivier, car lui aurait été capable de vous enseigner le chemin de la joie. Si vous aviez décidé de vous confesser, il vous aurait écouté attentivement et avec son sourire habituel, faisant fi de votre notoriété, sans doute aurait-il été plein d’indulgence par rapport à vos excès, vous aurait-il cité une parole de l’Evangile et vous aurait-il encouragé à poursuivre ce que vous faisiez déjà : « semer chez les autres, sinon un paradis, du moins un espace terrestre et humain pas trop tragique . »

Ces dernières paroles ne sont pas de moi, mais de Claude Nougaro . Belle journée à tous.

Francine OHET