Gaston Bachelard

Gaston Bachelard - Rencontres buissonnièresPar certains de ses traits, l’enfance dure toute la vie. Il faut vivre avec l’enfant qu’on a été. On en reçoit une conscience de racine. Tout l’arbre de l’être s’en réconforte. Les poètes nous aideront à retrouver en nous cette enfance vivante, cette enfance permanente, durable, immobile.

Quels bienfaits nous apportent les nouveaux livres ! Je voudrais que chaque jour me tombent du ciel à pleine corbeille les livres qui disent la jeunesse des images. Ce prodige est facile. Car là-haut, au ciel, le paradis n’est-il pas une immense bibliothèque ?

Ces solitudes premières, ces solitudes d’enfant laissent, dans certaines âmes, des marques ineffaçables. Toute la vie est sensibilisée pour la rêverie poétique, pour une rêverie qui sait le prix de la solitude. L’enfance connaît le malheur par les hommes. En la solitude, il peut détendre ses peines. L’enfant se sent fils du cosmos quand le monde humain lui laisse la paix. Et c’est ainsi que dans ses solitudes, dès qu’il est maître de ses rêveries, l’enfant connaît le bonheur de rêver qui sera plus tard le bonheur des poètes.

Quand il rêvait dans sa solitude, l’enfant connaissait une existence sans limite. Sa rêverie n’était pas simplement une rêverie de fuite. C’était une rêverie d’essor.

Un excès d’enfance est un germe de poème.

Il y a communication entre un poète de l’enfance et son lecteur par l’intermédiaire de l’enfance qui dure en nous.

Nos solitudes d’enfant nous ont donné les immensités primitives. La rêverie vers l’enfance nous rend à la beauté des images premières.

L’enfance coule de tant de sources qu’il serait aussi vain d’en faire la géographie que d’en faire l’histoire.

Les saisons de l’enfance sont des saisons de poète.

Toute enfance est fabuleuse, naturellement fabuleuse. C’est dans sa propre rêverie que l’enfant trouve ses fables, des fables qu’il ne raconte à personne. Alors la fable, c’est la vie même(…) Seul l’enfant permanent peut nous rendre le monde fabuleux.

L’eau de l’enfant, le feu de l’enfant, les arbres de l’enfant, les fleurs printanières de l’enfant…que de principes véritables pour une analyse du monde !

Si le mot « analyse » doit avoir un sens quand on touche une enfance, il faut donc bien dire qu’on analyse mieux une enfance par des poèmes que par des souvenirs, mieux par des rêveries que par des faits. Les psychologues ne savent pas tout. Les poètes ont sur l’homme d’autres lumières.

Nous ne pouvons pas aimer l’eau, aimer le feu, aimer l’arbre sans y mettre un amour, une amitié qui remonte à notre enfance. Nous les aimons d’enfance. Toutes ces beautés du monde, quand nous les aimons maintenant dans le chant des poètes, nous les aimons dans une enfance retrouvée, dans une enfance réanimée à partir de cette enfance qui est latente en chacun de nous.

Quel être cosmique qu’un enfant rêveur !

En nous, parmi toutes nos enfances, il y a celle-là : l’enfance mélancolique, une enfance qui avait déjà le sérieux et la noblesse de l’humain. Il faut peut-être un poète pour nous révéler de telles valeurs d’être. En tout cas, la rêverie vers l’enfance connaîtra un grand bienfait de repos si elle s’approfondit en suivant la rêverie d’un poète.

Une enfance, prise en ses songes, est insondable. On la déforme toujours un peu en faisant un récit.

L’enfance dure toute la vie.