Sylvie

Témoignage - Rencontres buissonnieres 2018Francine Ohet nous concocte des Rencontres Buissonnières bisannuelles à l’abbaye de Citeaux, l’une au printemps, l’autre à l’automne qui nous font découvrir des artistes, soit dans le domaine littéraire, musical, ou bien encore pictural ou sculptural.

Celle de ce Printemps nous a permis de rencontrer deux écrivains dont l’un, bien que très jeune : Pierre Adrian, fort talentueux puisque son travail fut déjà salué par plusieurs prix littéraires, absolument passionnant parce que passionné, à travers l’expérience des ténèbres et de la désespérance de notre époque qu’il raconte plus longuement dans son deuxième ouvrage intitulé : Des âmes simples.
La seconde personne, Fadila Semaï, nous a fait partager la profondeur de l’amitié entre Mohamed et Christian de Chergé qui l’a profondément touchée et nous aussi.
L’intermède musical en compagnie des Tapatou est toujours une respiration qui réjouit nos coeurs.
Les aquarelles d’Anne Lemaître, douces au regard et délicates, ainsi que les sculptures de Roland Machet, réalisées à partir de pierres et de morceaux de bois alliés, puis reliées à la Parole de Dieu, nous ont plongés dans le mystère et la puissance de la créativité.
Enfin, Frère Jean Claude, en évoquant sa vie à Tibhirine, et puis Frère Benoît et ses frères de la Schola qui ont entonné un hymne en hommage à leurs frères de Tibhirine nous ont transportés sur ce lieu où se sont exprimées la foi, la souffrance mais aussi l’espérance.
Un temps à part, un temps fort dans ce lieu d’inspiration qu’est Cîteaux, dont nous repartons, renouvelés et enrichis.
MERCIS et BRAVOS à toute la belle équipe des Rencontres Buissonnières qui oeuvre pour notre plus grand plaisir.

Sylvie Colson

Présentation de Pierre Adrian

Notre premier invité du 28 avril 2018

Pierre Adrian est un très jeune auteur de 26 ans, né en 1991. Il a fait des études d’histoire et de journalisme. Amateur de football et de cyclisme, il est chroniqueur à l’Equipe.
Son premier livre, La Piste Pasolini, a été récompensé en 2016 par le prix des Deux-Magots et le prix François Mauriac de l’Académie française.
Pour son deuxième livre, Des âmes simples, il a reçu en 2017 le prix Roger Nimier, qu’avaient obtenu dans le passé des écrivains comme Patrick Modiano, Cioran, Erik Orsenna, Jean-Paul Kauffmann, Marc Dugain.
Bruno Corty, rédacteur en chef du Figaro littéraire, a dit de Pierre Adrian : « Retenez bien ce nom. Il n’a pas fini de nous surprendre. »

Présentation de ses deux livres

La Piste Pasolini (Editions Equateurs)

La piste Pasolini - Rencontres buissonnières - 28 avril 2018    Se sentant proche intellectuellement de Pier Paolo Pasolini dont il admire surtout la poésie et le définissant comme son parrain en littérature, Pierre Adrian est parti à 22 ans sur ses traces, à la rencontre des lieux où il a vécu et des derniers témoins de sa vie. Ce qui le fascine dans le sulfureux cinéaste, c’est, par-delà sa personnalité scandaleuse, son côté torturé, son amour désespéré pour la vie et son obsessionnelle quête de Dieu. Il trouve bouleversante sa recherche de transcendance et se reconnaît dans ses angoisses. Ce road trip passionné qui ressemble à un pèlerinage initiatique le conduit de la plage d’Ostie, où celui qu’il considère comme son maître est mort assassiné, jusqu’à Rome et Chia, ultime étape de son périple où « prend fin un des désirs les plus déterminants de (ses) vingt ans. Celui de toucher Pasolini au plus près ». En le suivant dans ce périple, le lecteur assiste à la naissance d’un écrivain, étonné de tant de maturité, de profondeur et de décalage par rapport à l’idée qu’il se fait de la jeune génération.

Des âmes simples (Editions Equateurs)

Des âmes simples - Pierre Adrian - Rencontres buissonnières    Quatrième de couverture : « Ce qui repousse les caméras m’attire. Ceux qui trébuchent, ceux qu’on ne voit pas. J’aime le fond de la classe. Le saccage et le sursaut, la poudrière, le foutoir, la beauté, les rêveurs : tout est au fond, chez les invisibles. Au fond des vallées. Cette leçon, je l’apprendrai aux côtés de frère Pierre. En citant saint Paul, il me dira que la véritable sagesse n’est pas celle du monde : « Si quelqu’un pense être sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour être sage. »
Au cœur d’une vallée, aux confins de la France, un homme tient là seul par sa foi. Au plus près des vies minuscules-les bergers et les bêtes, les paumés et les vagabonds célestes-, il accueille les histoires murmurées, les hommes en perdition. Les croyants et ceux qui ne croient pas. Parce qu’ « on ne peut plus faire comme si les gens avaient la foi ». Pour lui, cela importe peu. Jour et nuit, son portable sonne. Il accourt.
D’une plume taillée à la serpe, Pierre Adrian nous offre un récit éblouissant, à l’écoute des ténèbres et de la désespérance d’une époque.

Pierre Adrian – « Des âmes simples » (extraits)

Editions Equateurs

Des âmes simples - Pierre Adrian - Rencontres buissonnières    Cette vallée, c’est l’autre bout de mon pays. Et donc déjà le bout du monde. L’étranger. Je l’ai découverte en plein juillet, cernée par ces cols que je venais grimper un à un sur mon vélo. Marie Blanque, Somport, Aubisque par la vallée d’Ossau. La Pierre Saint-Martin et son gouffre. Un terrain de jeux pour les amateurs de l’effort solitaire, du cœur qu’on emballe. La chaleur faisait suinter l’asphalte, le soleil gouttait dans les yeux. J’avais trouvé ce monastère en point de chute. Une chambre de pèlerin où je rangeais ma machine. Et les repas avec ce frère Pierre en bout de table, entouré par ses invités, les pèlerins justement, qui fourmillent l’été vers Saint-Jacques par la voie d’Arles. Je les voyais passer, tous ces gens. S’arrêter une nuit et reprendre leur route vers un autre gîte. Mais j’étais attiré par ceux qui restaient. Ceux pour qui la vallée n’est pas un passage, mais une île. Pierre, les hommes de la vallée, les familiers du monastère…Ces insulaires étaient à leur place dans un monde qui bouge(…)

    Derrière Pierre, je pressentais une foi complète, exclusive. « Une joie indicible » : ce sont là ses mots. Ainsi, l’été de mes vingt-quatre ans, je pénétrais vraiment la vallée pour la première fois. Et puis ceci : l’hiver de ses vingt-quatre ans, en 1967, Pierre s’installait dans la vallée et devenait son curé. Je devais comprendre ces ans et ce monde qui nous séparaient.

    Car Pierre a voué son âme à celle du monastère. Ces lieux n’existent que par lui. Il s’est donné, tout entier. Il ne calcule pas, Pierre. Il ne soupèse pas. Un cardinal, un sage, un sportif de haut niveau, je ne sais pas, un héros même…Il est rare que l’un d’eux vive dans l’engagement exclusif. D’ailleurs, Pierre n’a rien d’un héros, d’un quelconque surhomme. Non, il ne surpasse pas les qualités d’un homme. Seulement, il n’a rien gardé pour lui. Il n’a rien mis de côté. Et il montre aussi ses faiblesses. Pierre me confiera sa fatigue, les doutes qui peuvent sourdre d’une trop grosse ambition. Etre à la hauteur…Mais qui l’est vraiment, pour tirer un monastère de la noyade ? (…)
En quittant la vallée pour la première fois, cet été-là, je savais déjà que je reviendrais. J’écrirais. Ce qui repousse les caméras m’attire. Ceux qui trébuchent, ceux qu’on ne voit pas. J’aime le fond de la classe. Le saccage et le sursaut, la poudrière, le foutoir, la beauté, les rêveurs : tout est au fond, chez les invisibles. Au fond des vallées. Cette leçon, je l’apprendrai aux côtés de frère Pierre. En citant Saint Paul, il me dira que la véritable sagesse n’est pas celle du monde : « Si quelqu’un pense être sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour être sage. »(…)
Les caméras dispersent le bruit du monde…Elles n’aiment pas la lumière parce qu’elles ne la connaissent pas. Le monde veut ce qui brille, et la lumière vraie ne brille pas. Dans la vallée, du moins, on ne la voit pas. Il faut s’arrêter, prendre le temps de chercher. Mais ici, on ne fait que passer. Une vallée est un passage. On fait étape. On ne s’y arrête pas. Et pourtant…cette lumière.