Aimé

Témoignage - Rencontres buissonnieres 2018J’ai participé à la journée « Rencontres buissonnières » à l’abbaye de Citeaux le 28 avril dernier, consacrée aux « lieux, sources d’inspiration »
Je vous livre mes impressions:

– J’ai aimé les témoignages d’Anne Le Maître et Roland Machet, véritables artistes pour qui les sources d’inspiration sont essentiellement la nature. Simplicité, sensibilité, humilité : c’est la nature qui offre à l’aquarelliste et au sculpteur les matériaux sur lesquels ils vont travailler. Pas d’idée préconçue!! La nature est reine.

– J’ai aimé les explications du tout jeune Pierre Adrian (26 ans), déjà auteur de 2 livres couronnés l’un et l’autre de prix littéraires. Celui qu’il venait nous présenter Des âmes simples : c’est une vallée ( l’Aspe) dans le Béarn, un climat rude, un monastère Prémontré (Sarrance), un seul moine (le frère Pierre) qui est aussi curé de cette vallée depuis 50 ans, et qui en est l’âme, qui accueille, qui héberge, qui console, qui se déplace quel que soit celui ou celle qui le sollicite. Pierre Adrian y a séjourné quelques semaines en hiver en partageant avec une grande curiosité et une grande sensibilité cette vie que seule la Foi peut expliquer.

– J’ai aimé entendre Fadila Semaï , journaliste de formation, aujourd’hui écrivain, nous parler de la rencontre improbable en 1959 en Algérie de Mohamed, garde-champêtre, musulman, illettré, 47 ans, père de 10 enfants, et de Christian de Chergé, 22 ans, séminariste, brillant, aristocrate, officier (c’est la guerre en Algérie).
Rencontre improbable mais surtout une profonde amitié nouée entre ces 2 hommes. Mohamed , qui avait défendu son ami, sera abattu le lendemain par ses frères musulmans.
Fadila souhaite que Mohamed soit, en quelque sorte réhabilité. En tant que journaliste, elle enquête, avec obstination, elle recueille des témoignages, elle se déplace en Algérie pour rencontrer sa famille, elle croise les informations et écrit son livre L’ami parti devant dans lequel elle relie cet évènement à la fin tragique en 1996 de Christian, devenu Prieur du monastère de Tibhirine. Un récit passionnant , émouvant, prenant…

– J’ai tout aimé au cours de cette journée : le témoignage du frère Jean- Claude qui a passé 2 ans à Tibhirine après le drame, les intermèdes musicaux qui favorisent la détente après les fortes émotions que ces interventions provoquent, ainsi que l’atmosphère de paix, de silence, de respect, d’écoute tout au long de la journée.

Citeaux, Sarrance, Tibhirine : voilà des lieux dédiés à la prière, à l’accueil, au partage, au silence qui sont bien de véritables lieux d’inspiration.

Aimé Bovigny

Présentation de Fadila Semaï

    Vingt ans après l’assassinat des sept moines cisterciens de Tibhirine, un épisode de la vie de leur prieur restait encore mystérieux : on savait qu’au temps de la guerre d’Algérie, Christian de Chergé, alors officier, avait noué une forte amitié avec un certain Mohamed, qui l’aurait un jour sauvé d’un guet-apens des « rebelles », et l’aurait ensuite payé de sa vie. Mais qui était ce Mohamed, et en quoi ces événements avaient-ils influé sur le destin de Christian de Chergé ?

Fadila Semai - 28 avril 2018 - Rencontres buissonnières - Cîteaux

Fadila SEMAI

    Fadila Semaï, ancienne journaliste de la presse écrite et audiovisuelle qui se consacre désormais à l’écriture, a été profondément touchée par cette rencontre improbable entre deux hommes que tout oppose apparemment. Obstinément, avec un grand souci de vérité, elle a voulu découvrir le sens profond de cette amitié.
Lorsqu’elle arrive au printemps 2013 au monastère Notre-Dame de l’Atlas, elle ne possède que quelques éléments épars. Elle va alors s’attacher à retrouver les traces humaines de cette rencontre entre le prieur et son «ami parti devant». Elle va percevoir pourquoi cette amitié fut si décisive dans la vie de Christian de Chergé, qui portera ensuite et durant toute son existence la spiritualité du dialogue à son plus haut degré.
Dès lors, pour l’auteur comme pour le lecteur, cette enquête passionnante devient aussi une quête, qui nous conduit bien au-delà du « sacrifice » des moines, vers une expérience d’amitié universelle.

Fadila Semaï – « L’ami parti devant » (extraits)

Fadila Semai - L'ami parti devant - Rencontres buissonnieres - avril 2018Editions Albin Michel

    29 avril 2013, 5h30 du matin, je suis en Algérie depuis deux jours, je n’y étais pas revenue depuis plus de quatre décennies.
Ce voyage, cette enquête, cette quête, a mûri dans la solitude, dans le silence qui protège de ce qui peut vous dérouter. Le fil de ma vie m’a propulsée vers une nécessité vitale, aller à la rencontre d’une histoire : celle de deux hommes, Christian de Chergé et son ami Mohamed, et d’un lieu : le monastère Notre-Dame de l’Atlas, à Tibhirine.
A l’aube de ce jour qui me plonge dans l’inconnu, découvrir cette terre ancestrale où religion et violence humaine se sont douloureusement mêlées emplit mon cœur d’une émotion étrange.
……
Derrière nous, nous laissons Alger la blanche. Plus nous montons vers l’Atlas, plus la température baisse. Il fait froid, humide. Je médite sur le fait que pour vivre au contact de cette nature sans concessions, sans confort, il faut un charisme physique et mental. Autour de nous la nature est souveraine, fatalement : depuis des générations, elle façonne le tempérament de ceux qui vivent dans sa proximité.
Encore quelques lacets montagneux, et nous arrivons devant un imposant portail de fer. Un petit coup de klaxon prévient l’un des deux associés agricoles qui travaillent avec la communauté depuis fort longtemps et voilà qu’une main virile se glisse, ouvre la porte à deux battants.

     C’est la première fois que je pénètre dans ce lieu, un silence abyssal me rassemble. Malgré les peurs, les doutes, les projections les plus inquiétantes mais aussi les plus essentielles : je suis là. Sur ce sol algérien qui porte la mémoire de mes ancêtres, dans ce monastère de Tibhirine si singulier parce qu’il a abrité en son sein des hommes que tout pouvait séparer. Je suis là et mes pieds foulent la poussière rouge d’une terre, d’un espace sacré.
La première fois que ma vie a croisé le chemin de Tibhirine, c’était en 1996. Jeune journaliste, je travaillais dans une agence de presse prestigieuse, qui fournissait en reportages une grande chaîne de télévision tout aussi prestigieuse. Comme chacun, je découvris en mars l’existence, l’enlèvement puis l’assassinat des moines deux mois plus tard. Sans comprendre pourquoi, je fus plus que de raison appelée par ce fait divers. Je résistais parce que j’ai toujours fait très attention à ne pas me laisser enfermer dans les sujets « ethniques ». Ceux qui touchent les beurs, les immigrés, les banlieues, l’Algérie. Je connais le goût et l’ignorance de ceux qui aiment murer la vie des autres. Je résiste et on me respecte.
Un an plus tard, en août 1997, à l’occasion d’un voyage personnel au Maroc, j’ai décidé de me rendre à Fès pour rencontrer les deux survivants de Tibhirine : le père Amédée et le père Jean-Pierre. A la suite du drame, ils ont rejoint la communauté cistercienne à laquelle ils appartiennent, auprès d’autres moines.
…………
Treize ans plus tard, en 2010, j’assiste à Paris à la projection du film de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux. C’est la première fois qu’on s’empare de la mort des moines, autrement que sur un plan politique, et pourtant je ressens un malaise, un manque.
Je commence à formuler les contours de ce manque à l’occasion d’un débat autour d’un documentaire. Celui de Emmanuel Audrain, projeté au cinéma Le Médicis, à Paris. Ce film est antérieur à la fiction, il retrace l’histoire du testament spirituel de Christian de Chergé. A la fin du visionnage, c’est plus fort que moi, je me lève. Je prends la parole devant un public composé essentiellement de croyants chrétiens, dont certains encensent le film en insistant sur le sacrifice de moines chrétiens, pour des musulmans. Emue et agacée, j’explique que je suis française, née en France dans une famille de musulmans. En marge de toute religion établie, ma foi est intériorisée, mon vécu spirituel est corporel, je pense que cela explique pourquoi je suis si interpellée par le mystère de l’incarnation, hors de toute appartenance. Je reconnais la qualité cinématographique du travail de Xavier Beauvois. Il n’a pas choisi d’évoquer la genèse de Tibhirine, c’est sa liberté, cependant j’invite à prendre du recul. Selon moi, cette option peut altérer l’exemplarité authentique de Tibhirine, en proposant un regard amputé de quelque chose d’essentiel. La salle m’applaudit. Je suis surprise par cette réaction. Qu’ont-ils donc entraperçu dans ce vécu personnel ? Peut-être ont-ils entraperçu que l’héritage de Tibhirine n’est ni la mort ni le sacrifice. Peut-être cherchent-ils comme moi la vérité d’un processus humain qui a pris sa source dans la rencontre entre deux hommes que tout opposait, il y a plus de cinquante ans.
Cette rencontre aura soufflé, sans bruit, sur le fameux « esprit de Tibhirine ». Pas à pas, je l’ai découvert, d’abord par quelques phrases elliptiques dans des livres sur Tibhirine, puis par le début de ce qui allait être mon enquête. J’ai vu qu’au cœur il y a deux amis : depuis trop longtemps un de ces visages reste dans l’ombre, ignoré ou à peine évoqué ici et là. Je ressens le besoin impérieux de retourner à la source, pour délivrer le sens de l’amitié entre ces êtres. Le sens au-delà de cette rencontre. Deux hommes différents qui vont convertir tous les obstacles-la guerre, la terre, la religion, la condition, la culture- et les métamorphoseront en fraternité. Un jeune chrétien de vingt-deux ans, aristocrate, cultivé, un musulman de quarante-sept ans, illettré, de condition modeste. Deux prénoms, Christian et Mohamed. Hasard ou annonce prophétique, chacun portait le nom de « son Prophète ». Christian de Chergé deviendra le prieur du monastère de Tibhirine, l’ami Mohamed, le garde-champêtre algérien, protégera Christian des assauts des moudjahidin, pendant la guerre d’indépendance. Il le payera de sa vie. Quelque temps avant sa mort, il prononcera cette phrase : « On me demande de choisir entre mon ami et mes frères. Ce n’est pas possible. »
Devenu moine trappiste en Algérie, il faudra plus de treize ans au père Christian pour révéler la force de transformation qu’il a reçue par le don suprême que lui fit l’ami Mohamed.
C’est pour ces hommes que je me suis mise en route, je veux les connaître, lire entre les lignes d’une amitié qui transcenda tout. J’ai un autre vœu, impérieux : mettre un visage sur l’ami Mohamed, le « sans visage ».

Extrait de  » Clown Jackus, semeur de joie « 

(par Jacques Ugeux)

Abbaye Notre-Dame des Dombes - Rencontres buissonnièresEn mars 2002, après avoir vécu 5 ans la vie monastique- il ne restait plus qu’une moniale et moi – je fis le choix de quitter cette communauté pour un temps de postulat et discernement au sein du renouveau charismatique, dans une communauté internationale à vocation œcuménique près de Lyon, au CHEMIN NEUF, à l’abbaye Notre-Dame des Dombes, au moment où les moines cisterciens venaient de céder cette abbaye à la communauté.

J’ai été touché de sentir le frémissement resté de plus de 150 ans de la vie monastique des Cisterciens. Ces moines sont partis avec très peu d’objets. Partout, dans l’abbaye, au jardin, dans la ferme, nous trouvions des traces de leur travail ou des vélos déposés dans un coin, des cahiers au scriptorium. Ce lieu témoignait du travail considérable accompli par les Cisterciens. Ils avaient creusé des étangs dans une région qui souffrait de paludisme endémique où l’on n’avait pas une grande espérance de vie. Les moines avaient présenté aux agriculteurs de la région les nouvelles techniques et machines agricoles. Ils avaient partagé leur expérience et évangélisé par leur simplicité, la beauté de leurs offices, la catéchèse, etc.

La Dombes est une région très belle, peu envahie par les touristes. Je vous conseille de faire le circuit des étangs en été à vélo. C’est de toute beauté.

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Clown Jackus - Rencontres buissonnièresEt pour terminer sur une note d’humour, inséparable de Jacques Ugeux, alias clown Jackus, voici comme il a souhaité qu’on le présente, ainsi que son association Joie et créativité :

Clown Jackus, dernier rempart contre le cafard. Quand Jackus passe, la tristesse s’efface ! Je suis Jackus, frère d’âme, homme de cœur et clown à mes heures ! A votre instar, j’aime la vie dont, sans être star, je distribue une généreuse part ! Peu importe l’âge, pourvu qu’on ait la tendresse…

Gilles Baudry

Moine de Landévennec, en Bretagne

Il neige, Nadejda, sur Voronej
et le silence lange un mort
qui dort à côté du sommeil
là-bas
dans un goulag
en Sibérie
à deux pas de la Kolyma.

Seule à l’insu du monde
pour conjurer l’inexorable nuit
vos lèvres, Nadejda
par cœur murmurent
les vers du bien-aimé.

Là-bas
sur les steppes de la mémoire
tombent les pétales de neige
d’un amandier en fleur.

 Gilles Baudry - Rencontres buissonnières

Faut-il
que les temps soient
si incertains
que les anges aient recours
à des échafaudages ?

« Hosanna au plus haut des cieux ! »
chante le choeur des moines
tandis que passent et repassent
dans les vitraux
les silhouettes des couvreurs.

 Si tu pouvais, mince comme un signet,
te glisser subrepticement
entre les pages,
entendre leur bruissement végétal

Dieu s’approche à pas de porcelaine
et dans le grain du papier,
le grain de la voix de Dieu.
Le livre attendrait patiemment tes yeux
et s’ouvrirait en confidence.
La voix de l’Ecriture s’inviterait
chez toi par une porte basse.