Didier Mény – Le Caravage

Extraits de « Tristan »

Didier Mény - Rencontres buissonnières(p. 33)

Marie savait. La Marie de Le Caravage savait. Son bras enveloppe le corps de l’enfant, sa main est posée sur la fesse et la hanche et sa joue sur la joue. Marie regarde le monde derrière le miroir de nos yeux. Le regard qui nous fixe voit plus loin que l’instant de la douceur de l’étreinte. Il voit la Passion, le chemin monte vers la colline et le sang et les clous et le bois. Dans les yeux de Marie, l’histoire est écrite. Il ne manque que les larmes. Et Joseph. Et la protection de ses bras autour de la mère et l’enfant. Mais la tête baissée qui masque le regard. Mais Joseph dans l’ombre. Résigné déjà ?

Dieu, pourquoi les as-tu abandonnés ?

(p. 105 – 106)

Où étais-tu Joseph quand il a été arrêté ? Nul ne parle de toi. Où étais-tu Joseph quand ils l’ont enchaîné, frappé, insulté. Où étais-tu ce jour de crachats et d’épines au front et de paumes clouées, Joseph ? Quand on déchira sa tunique.

Et il criait pour appeler un père qui n’était pas toi lui qui croyait si fort à d’autres mondes. Où étais-tu quand il eut peur et mal. Si mal, si peur. Et son corps gisant l’as-tu pris dans tes bras ? Où sont-elles les statues où tu regardes en pleurant son corps sur tes genoux, sa tête renversée, ses yeux clos ? Dans quelles nefs d’église ? Père de douleur, à toi aussi il a pris le fils. Mais tu étais mort.

Didier Mény – Manèges et tympans

Extrait de « Tristan » (p.42 – 43)

Didier Mény - Tristan - Rencontres buissonnièresAu tympan des églises souvent un Christ en gloire sépare le ciel figé des élus hiératiques de l’enfer où la souffrance et la peur animent les damnés. Je sais désormais que l’enfer est un regard sans paupières fixé sur la vie des morts. Un petit garçon marche autour du manège arrêté. Il n’a pas de ticket, il monte dans une nacelle qu’un volant fait tourner sur elle-même. Et le manège s’ébranle et l’enfant sans ticket tourne deux fois, apeuré d’abord puis confiant. Il tourne sur lui-même et dans l’arche heureuse du petit théâtre rotatif, où il n’y a ni saints ni diables. Dans le monde d’à côté, sur le pavé de la place, sur la terre qui tourne aussi, des mères sourient, les yeux pleins de lumière. Savent-elles que parfois, entraînées par des forces ignorées, leurs enfants, élus ou damnés, quitteront le manège qui se meut pour les tympans de pierre ?

Didier Mény - Tristan - Recontres buissonnières