Extrait – « L’Evangile d’un libre penseur » / Gabriel Ringlet

Approche de la personnalité de Gabriel Ringlet à travers son
Evangile d’un libre penseur (Editions Albin Michel, 2002)

Il y a urgence. Le monde est une poudrière. La génétique galope. L’argent assassine tous les jours en silence. Les institutions sont fatiguées. La démocratie elle-même se cherche un nouveau souffle.

Dans une société émiettée où les repères normatifs restent nombreux mais disséminés, si on veut éviter le retour à l’autoritarisme ou la dislocation dans l’éparpillement post-moderne, il est essentiel de mettre des ressources en commun, d’inventer des projets, d’maginer de nouvelles synthèses. Et de le faire ensemble. Personne ne peut dire, seul, quel est le juste, le bon. Personne ne peut revendiquer, seul, le fondement d’un comportement moral. Nous sommes, chacun, en chemin de vérité et nos différences d’approche sont vitales. Mais « dialoguer », ce n’est pas se rencontrer par forteresses interposées.

De l’air, s’il-vous-plaît ! Ne sentez-vous pas que de nouvelles balises se cherchent, qu’une jeune harmonie tente de s’exprimer, que de nombreux citoyens aspirent à une meilleure qualité relationnelle et, finalement, à un mieux-vivre ensemble ? Il est grand temps de dépasser les jugements à l’emporte-pièce, les enfermements confessionnels ou idéologiques, pour enfin marier les libertés, ce qui veut dire aussi partager les vulnérabilités.

Par-delà le « politique » et dans le prolongement du « philosophique », on sent qu’un troisième chemin s’affirme et se précise depuis quelques années : un chemin spirituel(…)

En osant rapprocher Dostoïevski, Camus, Job, la tragédie grecque et l’apocalypse de Saint Jean, il appartient à laïques et chrétiens de retrouver ensemble le seApocalypse Saint Jean - rencontres buissonnièresns du tragique et d’oser confronter la fragilité évangélique à la philosophie des Lumières, en abordant, par exemple, le problème du mal (…)

La mise à disposition plus fréquente de lieux de culte pour certaines activités culturelles publiques, dans des conditions de respect et de dialogue, pourrait aussi favoriser les évolutions et faire naître des collaborations originales.

Ne serait-il pas heureux d’organiser, entre chrétiens et laïques, des assises annuelles et des débats locaux où, ensemble, ils débattraient précisément de ce pluralisme et de valeurs susceptibles de fonder un avenir commun ? Pourquoi des mairies, des paroisses, des ligues, des centres d’action laïque ne prendraient-ils pas l’initiative de pareilles confrontations ?

« Plus est en toi », répète l’Inde. « Un trésor est caché dans ton champ », dit l’Evangile(…) Et Maître Eckhart, Silésius, Al-Hallaj ou même Aménophis IV doivent pouvoir dialoguer avec Rimbaud, Mallarmé, Dreyer, Fellini, Nietzsche ou Georges Bataille…

Al-Hajjaj - rencontres buissonnièresLa vie spirituelle invite celui qui s’y engage à devenir un artiste de la profondeur de champ, un sculpteur d’intériorité, qui apprend à travailler la relation à l’autre et/ou à l’Autre : voilà son chef-d’oeuvre en ce monde.

J’affirme que pour en sortir, pour permettre à l’homme de rester vivant, chrétiens et laïques sont appelés à faire œuvre commune, à travailler la relation à l’autre, à sculpter l’intériorité, à creuser ensemble la profondeur de champ. (…) Pour réussir et, en tout cas, pour progresser, la relation entre chrétiens et laïques doit aussi, et au sens fort, devenir poétique.(…)

Le christianisme a un besoin vital du roman, du théâtre, de la musique, de la poésie, du cinéma, de l’architecture, des arts plastiques et picturaux…

Il devient essentiel qu’un courant spirituel solide mais diversifié donne de la voix et rappelle avec force où réside le vrai sacré : au cœur de l’homme.