Jean-Yves Quellec

Moine de Clerlande, en Belgique

Jean-Yves Quellec - Rencontres buissonnièresLoué sois-tu, mon Dieu,
pour les consonnes et les voyelles,
pour leur élan fantasque
et leurs unions tranquilles.

Loué sois-tu
pour l’enchantement des syllabes,
la musique des noms et le tranchant des verbes.

Loué sois-tu pour la secrète respiration des phrases
et l’infinie richesse de leurs agencements.

Loué sois-tu pour l’intonation de la voix,
pour l’accent du terroir
et la couleur des mots qu’enfantent nos lèvres.

Loué sois-tu
pour la parole humaine,
celle qui hésite au bord du mystère,
celle qui se presse à exprimer la joie,
celle qui trébuche quand s’y mêlent les pleurs,
celle qui murmure l’amour au matin,
celle qui gronde d’espoir contenu,
celle qui chante sans pouvoir s’arrêter,
celle qui donne le goût de vivre,
le courage de lutter,
et l’espérance d’un jour nouveau.

Oui, il est bon de te louer,
de parler dans l’estime du langage d’homme
et de poursuivre chaque jour
notre tâche d’ouvrier de la parole.

 

Maurice Carême

Pour mon Papa

J’écris le mot agneau
Et tout devient frisé.
La feuille du bouleau,
La lumière des prés.
J’écris le mot étang
Et mes lèvres se mouillent ;
J’entends une grenouille
Rire au milieu des champs.
J’écris le mot forêt
Et le vent devient branche.
Un écureuil se penche
Et me parle en secret.
Mais si j’écris Papa,
Tout me devient caresse,
Et le monde me berce
En chantant dans ses bras.

Litanies des écoliers

Saint Anatole,
Que légers soient les jours d’école !
Saint Nicodème,
Donnez-nous la clé des problèmes.
Saint Siméon,
Allongez les récréations.
Sainte Clémence,
Que viennent vite les vacances !
Sainte Marie,
Faites qu’elles soient infinies !

L’écolière

Bon Dieu ! Que de choses à faire !
Enlève tes souliers crottés
Pends donc ton écharpe au vestiaire,
Lave tes mains pour le goûter,
Revois tes règles de grammaire.
Ton problème est-il résolu ?
Et la carte de l’Angleterre,
Dis, quand la dessineras-tu ?
Aurai-je le temps de bercer
Un tout petit peu ma poupée,
De rêver, assise par terre,
Devant mes châteaux de nuées ?
Bon Dieu ! Que de choses à faire !

maurice_caremeLiberté

Prenez du soleil
Dans le creux des mains,
Un peu de soleil
Et partez au loin !

Partez dans le vent,
Suivez votre rêve ;
Partez à l’instant
La jeunesse est brève !

Il est des chemins
Inconnus des hommes
Il est des chemins
Si aériens !

Ne regrettez pas
Ce que vous quittez.
Regardez, là-bas,
L’horizon briller.

Loin, toujours plus loin,
Partez en chantant !
Le monde appartient
A ceux qui n’ont rien.

Muguet

Cloches naïves du muguet,
Carillonnez ! car voici mai !

Sous une averse de lumière
Les arbres chantent au verger
Et les graines du potager
Sortent en riant de la terre.

Carillonnez ! car voici mai,
Cloches naïves du muguet !

Les yeux brillants, l’âme légère,
Les fillettes s’en vont au bois
Rejoindre les fées qui, déjà,
Dansent en rond sur la bruyère.

Carillonnez ! car voici mai,
Cloches naïves du muguet !

 

Victor Hugo

L’enfant, voyant l’aïeule

Victor Hugo - Rencontres buissonnièresL’enfant, voyant l’aïeule à filer occupée,
Veut faire une quenouille à sa grande poupée.

L’aïeule s’assoupit un peu : c’est le moment.
L’enfant vient par derrière et tire doucement

Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie,
Puis s’enfuit triomphante, emportant avec joie

La belle laine d’or que le safran jaunit,
Autant qu’en pourrait prendre un oiseau pour son nid.