Poèmes de prisonniers

Dans le cadre de notre rencontre buissonnière du 21 mai prochain « Chemins vers la beauté », découvrez les poèmes de détenus de la prison de Clairvaux.

Poèmes de prisonniers de Clairvaux - Rencontres buissonnières

Je n’ai plus
Tous ces sons familiers à mes oreilles.
Il ne me reste
Que le son des verrous.
Où sont passés
Le bruit des oiseaux de mon enfance
L’aboiement des chiens ?
Même le vent,
Je ne l’entends plus.
J’ai oublié tout ça
Pour me retrouver dans ce silence
J’entends le silence
J’ai oublié le reste

                                           Jacky S.

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     Tous les jours
j’allais au travail
en passant devant la prison
tous les jours
et je ne comprenais pas
comment comprendre tout cela.
Et maintenant,
maintenant que je suis dedans
je continue à ne pas comprendre.

                                           Kirru

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Je n’ai pas oublié
mon identité
ni ceux pour lesquels j’ai de l’estime
quand et pourquoi je suis arrivé ici
d’où je viens et où je veux aller
ceux qui me soutiennent dans ce chemin
et ceux qui s’opposent
ceux qui sont tombés
et que je porte toujours en moi
à eux j’offrirai la liberté quand viendra ce jour rouge.
Si j’oubliais tout cela, je ne serais plus moi.

                                           Agustin F.A.

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Pars sur les flots
Ne te retourne pas
Avance sur le chemin
De la transformation
Ecoute le murmure silencieux
De ton futur
Avance sur la vague
Qui te portera vers le large
Vers un non-retour
Sur le chemin de l’amour
Et de nouvelles aventures

                                           Hadi

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Hier ne compte pas,
Hier ne compte plus.
La vie se conjugue comme un verbe,
Au passé, au présent, au futur.
Le soir, à ma fenêtre,
Je lève la tête et j’aperçois
Dans le ciel
Une étoile te ressemblant ;
Une étoile que je rapporte à ton amour,
Si doux, si profond :
Cette force que tu m’envoies
Et qui me donne la joie de vivre.

                                           Dumé

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Petit oiseau qui a des ailes
Pourrais-tu t’envoler pour moi
Et porter un message à ceux que j’aime ?
Petit oiseau mon ange
Qui vient picorer sur ma fenêtre
Et m’apporter ce que moi seul qui le vis
Peux comprendre,
Parfois je t’encage avec moi
Avant de te laisser t’envoler.
Petit oiseau grâce à toi
Qui ne me crains pas
Je suis un homme qui rêve d’être toi
Pour déployer mes ailes
Et revivre loin de mon désespoir.

Voix sans issue,
Chemin de ronde,
Tourne, tourne, tourne,
En des milliers de pas
Qui ne mènent nulle part.

                                           Denis

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Procession de serrures sans concession
Qui vous crie à chacune de leurs vibrations
L’abolition de votre liberté

Sans fin, sans début
Vertige du temps
Sans fin s’inscrit en nous le vertige du temps
Sans limite, sans début, sans fin

Des arbres au-dessus d’un mur
Bercent sereinement leurs branches
A l’ombre d’un serpent de béton.

Noël du parloir,
Panier gourmand de l’amitié,
L’orange du marchand
Je ne l’ai pas volée…
Les yeux fermés,
Sa douce saveur sucrée
Ravive en moi
Le parfum perdu de la liberté.

                                           Pascal

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Je suis le grêlon dur et rond
Ou pois chiche ou œuf de pigeon
Qui fait des bonds de sauterelle
Par-dessus les toits de prison
Je cogne partout sans façon
Puis dans un coin, tout seul, je fonds.

                                           Tonio

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Je ne suis pas tout noir,
Je ne suis pas tout blanc,
Mais entre noir et blanc
Mon univers est gris.
Ciel gris, murs gris, pensées grises.

Bonjour tristesse…

                                           Yasine

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Graviers éparpillés,
Tranchant des barbelés,
Acier des pylones,
Oeil du cyclone,
Filins entrelacés dans les nuages
Sont les limites de mon regard.
Au loin, très loin,
Au-delà des hauts murs noircis par le temps,
Un arbre, le ciel, la vie..

                                           Vincent

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Dans la spirale de nos deux vies
Où s’élèvent vos prières et vos chants,
Puis-je me rappeler si un moine sourit
En compagnie d’un mécréant ?

Votre miséricorde me dit oui !
Pourtant peut-être suis-je méchant…
Vous qui me croyez gentil,
Avez-vous oublié que je suis malveillant ?

Croyez-vous encore que Dieu pourra me pardonner,
En ayant tué jusqu’à la lie ?
Vous, le moine qui chaque jour le priez,
Moi lui tournant le dos, le jetant dans l’oubli !

Pourtant j’aimerais me rappeler
Que je fus un autre.
N’avoir rien oublié
Etre l’un de ses apôtres !

                                           Pierrot

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Texte de Frère Luc, moine de Cîteaux

Nuits de la terre, que vous êtes belles ! Belles et bonnes, baignant nos cœurs fatigués dans le silence des étoiles !
Je le sais : vous n’avez pas toutes ce visage de paix : nuits du vice qui favorisez l’éclosion des fleurs du mal, nuits du prisonnier parsemées de cauchemars, interrompues par le bruit du guichet, nuits besogneuses de ceux qui veillent sur leurs frères, nuits fiévreuses des malades qui cherchent en vain le repos.
Toutes ces nuits de vice ou de peine, noires, bleues ou blanches, je les unis à la nuit de mon cœur qui cherche son Bien-aimé sans le trouver.
N’es-tu pas cruelle, nuit de mon cœur, qui dérobe à mes yeux l’objet de mon amour ? Pourquoi revêtir cette sombre couleur, alors que mon Bien-Aimé n’est que lumière ?
Petite étoile si discrète que j’aperçois à peine à travers l’obscurité de la nuit de mon cœur, ne veux-tu pas me répondre ?