Roger-Pol Droit

Roger-Pol Droit -Esprit d'enfance - rencontres buissonnieresL’esprit d’enfance

     L’enfance peut être temps révolu, mais l’esprit d’enfance demeure ressource perpétuelle.
   J’appelle esprit d’enfance une façon d’être au monde qui n’a rien à voir avec les ans ni les compétences.
    On fut enfant, on ne l’est plus. Cette enfance-période se traverse, puis se quitte à jamais, même s’il en subsiste traces, vestiges, fondations.

    Il n’en va pas de même de l’enfance-principe, l’enfance comme esprit, attitude, regard sur la vie. Cette enfance-là se révèle absolument indépendante des âges, de l’écoulement du temps, de la suite des moments de l’existence. Cet esprit d’enfance n’a rien de périssable. Il ne se termine jamais. Dans l’adulte, jeune ou mature, ou chez le vieillard, il subsiste. Intact. Jusqu’au dernier souffle, il perdure et insiste. Sans usure, sans distance(…)
    Enfance : la réalité vécue des jeunes années. Esprit d’enfance : ce que nous pouvons en extraire, pour l’utiliser tout au long de la vie, en toutes circonstances.
   Si nous voulons que s’aiguise le tranchant du monde, il faut retrouver partout le vif éclat des premières fois. Ce retour n’est pas une régression, pas non plus un voyage dans le temps. Pas question de remonter à l’origine, de revenir à un point initial, antérieur à l’accoutumance. Parce que cette vivacité est en fait toujours là, indifférente au temps qui passe. La retrouver ne consiste pas à remonter le temps, ce qui est impossible, mais à nous immerger autrement dans le réel, ce qui est en notre pouvoir, du moins dans une certaine mesure.
   Faire en sorte que chaque répétition devienne une réitération, une première fois. Vive, présente, déconcertante, unique et neuve, et non pas millième et terne. Nous devons tendre -partout, toujours- vers une galaxie de premières fois. Tout le temps des premières fois, même quand c’est la centième, la millième, la millionième. Ainsi va l’esprit d’enfance.
    L’esprit d’enfance a le souci constant de réinitialiser, de rafraîchir, de reprendre de zéro. C’est ainsi que créent les artistes. La création est un début qui n’en finit pas, qui se réitère et se   réinitialise indéfiniment.
     C’est ainsi, aussi, mais on le sait moins, que font les philosophes(…)
    Les enfants ont des âges, l’esprit d’enfance n’en a pas. Enfants, adolescents, adultes, vieillards s’inscrivent dans le temps. Ils grandissent et déclinent, naissent et meurent. L’esprit d’enfance, lui, demeure immuable. Inaltérable.
    Quand l’esprit d’enfance est entrevu, tout commence. L’essentiel est ce que nous pouvons en faire.
     A chacun d’inventer jour par jour ses itinéraires.