Marie Noël

     Quand Dieu a soufflé sur ma boue pour y faire prendre mon âme, il a dû souffler trop fort. Je n’ai jamais cessé de trembler comme une chandelle vacillante entre deux mondes.

      Si j’étais plante, je ne voudrais pas être de ces plantes qui ont trop affaire à l’homme.
Ni avoine, ni blé, ni orge parqués, sans pouvoir en sortir, dans un champ en règle-et on ne laisse même pas aux blés leurs bleuets pour se distraire-ni surtout ces légumes soumis et rangés, ces carottes alignées, ces haricots qu’on dirige à la baguette, ces salades qu’on force à pâlir en leur serrant le cœur quand il fait si beau alentour et qu’elles voudraient bien être grandes ouvertes.
J’accepterais encore d’être herbe à tisane, serpolet ou mauve, ou sauge, pourvu que ce fût dans un de ces hauts battus des vents où ne vont les cueillir que les bergers.
Mais j’aimerais mieux être bruyère, gentiane bleue, ajonc, chardon au besoin, sur une lande abandonnée, ou même un champignon pas vénéneux, mais pas non plus trop comestible, qui naît dans la mousse, un matin, au creux le plus noir du bois, qui devient rose sans qu’on le voie et meurt tout seul le lendemain sans que personne s’en mêle.

     Après avoir été un instant fleur fraîche et fruit mûr dans le jardin de Dieu, je voudrais bien, pour mon hiver, être une bonne vieille petite pomme dans son cellier.

Chant d’enfant

Regarde le joli jardin
Que Dieu nous donna ce matin
Plein de soleil et de fleurs
Aux yeux de toutes les couleurs.
Pour le retenir en lieu sûr
Nous l’avons entouré de murs
Sans quoi la nuit il s’en irait
Faire le fou dans la forêt
Si loin que plus personne après
Jamais ne le retrouverait.
Nous l’avons avec notre clé
La plus solide, la plus forte,
Enfermé derrière une porte
Pour que le Vent, cet endiablé
Voleur volant qui va souffler
Quand nous dormirons ne l’emporte
Pour y loger ses feuilles mortes.