« Nous vivons (…) la revanche des lieux où l’on dit que «tout est mort» »

Rencontres buissonnières

de Cécile Coulon

Cécile Coulon est née dans le Puy de Dôme.
Dans cette lettre adressée au village Eyzahut, elle rend hommage aux milliers de communes de moins de 500 habitants, si souvent oubliées, et pourtant peu touchées par le Covid 19.

France Inter - Lettres d'intérieur - "Nous vivons (...) la revanche des lieux où l’on dit que «tout est mort»" de Cécile Coulon

« Clermont-Ferrand, le 14 avril 2020

Eyzahut, cher village, 

Je ne te demande pas si tu vas bien : je sais que tu vas bien. Dans tes mâchoires de pierre arrosées par les ruisseaux, habillées des arbres que le printemps doit fleurir et des oiseaux réfugiés dans tes hauteurs, je ne m’inquiète pas pour toi, ni pour celles et ceux qui vivent dans tes maisons, serrées les unes contre les autres comme des meilleures amies un soir de premier bal. 

Eyzahut tu as un drôle de nom : Eyzahut, cela signifie ‘hautes maisons’. Village élevé qui élève lui-même quelques cent soixante habitants. On ne te voit jamais aux informations, à la télévision. On ne t’entend jamais à la radio. On te lit quelques fois, dans le journal local, au moment des tournois et des élections. Eyzahut, tu es si beau, une beauté d’autrefois, une beauté bien cachée. 

Je t’écris cette lettre par-dessus tes ruisseaux, au-delà des falaises, en remontant les massifs de l’autre côté de l’Ardèche. Je suis nichée dans un appartement qui a bien peu d’âme à côté de ton antique demeure. Je t’écris car il y a tant d’Eyzahut en France, tant de si petits villages qui ont failli mille fois mourir mais où, aujourd’hui, personne ne meurt. 

Pas de médecin. Pas de commerce. Accès difficile. Eyzahut, on dit qu’en temps de repli en chaque homme fleurit ce qui, pour lui, a le plus de valeur : avant je rêvais d’un bord de mer inconnu, de ventes et d’honneurs, aujourd’hui je ne rêve que de venir jusqu’à toi, emprunter cette route étroite et venir me planter dans ton cœur. 

Ce confinement n’est pas nouveau pour toi. C’est comme cela que tu vis, chaque jour, c’est comme cela que tu tiens, retranché derrière tes murs que la lumière du jour doit, en cette saison, baigner de rouge et de bleu clair. On me dit que tu as un peu toussé, qu’il y eut dans une chambre une légère fièvre. La mairie reste ouverte pour les attestations, quand on va aux courses il faut attendre devant les portes coulissantes un peu plus longtemps. 

Eyzahut, la France compte 19 000 places fortes comme toi, 19 000 communes de moins de 500 habitants où la vie n’a pas tant changé depuis un mois. Ce n’est pas le diable qui se niche dans les détails, mais la vieillesse que tu connais si bien pour l’abriter depuis longtemps à côté des nouvelles familles venues pour voir grandir dans tes bras tordus leurs enfants. 

Nous vivons en direct la revanche des lieux où l’on dit que ‘tout est mort‘ à l’année, et qui aujourd’hui ne sont pas, ou peu, inquiétés. ‘Ici on ne meurt pas de ces choses-là‘, disent les plus âgés, le village n’est pas mort, il est juste apaisé. Eyzahut tu apparais en ces temps de repli comme un refuge de conte de fées : la falaise est ton masque, la hauteur ton vaccin. Eyzahut, je ne m’inquiète pas, je sais que tu vas bien. En ce jour, tu es une leçon que je croyais avoir appris, mais il me manquait la peur de perdre le calme et les forces que tu m’avais promis ». 

Cécile Coulon

L’humanité ébranlée et la société effondrée par un petit machin

Rencontres buissonnières

de l’écrivain tchadien Moustapha Dahleb

Partagé avec nous par Dominique (Dijon)

Un petit machin microscopique appelé coronavirus bouleverse la planète. Quelque chose d’invisible est venu pour faire sa loi. Il remet tout en question et chamboule l’ordre établi. Tout se remet en place, autrement, différemment.

Ce que les grandes puissances occidentales n’ont pu obtenir en Syrie, en Lybie, au Yemen… ce petit machin l’a obtenu (cessez-le-feu, trêve…).
Ce que l’armée algérienne n’a pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu (le Hirak a pris fin).
Ce que les opposants politiques n’ont pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu (report des échéances électorales…).
Ce que les entreprises n’ont pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu (remise d’impôts, exonérations, crédits à taux zéro, fonds d’investissement, baisse des cours des matières premières stratégiques…).
Ce que les gilets jaunes et les syndicats n’ont pu obtenir, ce petit machin l’a obtenu (baisse de prix à la pompe, protection sociale renforcée…).

Soudain, on observe dans le monde occidental que le carburant a baissé, la pollution a baissé, les gens ont commencé à avoir du temps, tellement de temps qu’ils ne savent pas quoi en faire.

Les parents apprennent à connaître leurs enfants, les enfants apprennent à rester en famille, le travail n’est plus la priorité, les voyages et les loisirs ne sont plus la norme d’une vie réussie.
Soudain, en silence, nous nous retournons en nous-mêmes et comprenons la valeur des mots solidarité et vulnérabilité.
Soudain, nous réalisons que nous sommes embarqués sur le même bateau, riches et pauvres. Nous réalisons que nous avions dévalisé ensemble les étagères des magasins et constatons ensemble que les hôpitaux sont pleins et que l’argent n’a aucune importance. Que nous avons tous la même identité humaine face au coronavirus.
Nous réalisons que dans les garages, les voitures haut de gamme sont arrêtées juste parce que personne ne peut sortir.

Quelques jours ont suffi à l’univers pour établir l’égalité sociale qui était impossible à imaginer. La peur a envahi tout le monde. Elle a changé de camp. Elle a quitté les pauvres pour aller habiter les riches et les puissants. Elle leur a rappelé leur humanité et leur a révélé leur humanisme.
Puisse cela servir à réaliser la vulnérabilité des êtres humains qui cherchent à aller habiter sur la planète mars et qui se croient forts pour cloner des êtres humains pour espérer vivre éternellement.
Puisse cela servir à réaliser la limite de l’intelligence humaine face à la force du ciel.

Il a suffi de quelques jours pour que la certitude devienne incertitude, que la force devienne faiblesse, que le pouvoir devienne solidarité et concertation.
Il a suffit de quelques jours pour que l’Afrique devienne un continent sûr. Que le songe devienne mensonge.
Il a suffit de quelques jours pour que l’humanité prenne conscience qu’elle n’est que souffle et poussière.

Qui sommes-nous ?
Que valons-nous ?
Que pouvons-nous faire face à ce coronavirus ?

Rendons-nous à l’évidence en attendant la providence. Interrogeons notre « humanité » dans cette « mondialité » à l’épreuve du coronavirus.

Restons chez nous et méditons sur cette pandémie.
Aimons-nous vivants !

Souhaits

Rencontres buissonnieres

de Jacques Brel

Partagés avec nous par Odette (Dijon)

Le seul fait de rêver est déjà très important.
Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir,
Et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns.
Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer,
Je vous souhaite d’oublier ce qu’il faut oublier.
Je vous souhaite des passions,
Je vous souhaite des silences.
Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants.
Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence et aux vertus négatives de notre époque.
Je vous souhaite enfin de ne jamais renoncer à la recherche, à l’aventure, à la vie, à l’amour, car la vie est une magnifique aventure.
Je vous souhaite surtout d’être vous, fier de l’être et heureux, car le bonheur est notre destin véritable. 

La persévérance sans défaillance, assimilée à un acte de foi (selon Eric Emmanuel-Schmitt)

Rencontres buissonnieres

Réflexion de Brigitte (Dijon) partagée avec nous

Dans Louise Amour, Christian BOBIN écrit que « toute une vie peut en une seconde et sur un minuscule détail, basculer dans la lumière ou dans les ténèbres ». En réponse à cela, Stan ROUGIER écrit dans Aimer et tu vivras, « Si ton regard est bienveillant, tout ton être sera dans la lumière ; si ton regard est mauvais, tout sera pour toi, ténèbres ».

Cette période de confinement difficile pour certains, anxiogène pour d’autres, n’est-elle pas le corollaire de notre société « d’avant » se voulant toujours plus rapide, toujours plus bruyante, occultant alors les bienfaits du silence et de la lenteur.

Le silence contraint, avec rues ou places dénuées de toute âme qui vive, nous permet de faire le calme en nous, d’entendre et d’écouter les silences du cœur, d’écouter notre musique intérieure, celle de notre âme. Ce silence contenu est créateur de lumière, celle qui permet d’accueillir l’autre avec ses richesses de cœur et d’esprit, ses forces mais également avec ses fragilités, ses faiblesses.

« Le silence de Marie, c’est le silence de l’écoute, de l’attente et de l’accueil » (La première en chemin, le mystère du 1er janvier de Roger BICHELBERGER).

Ce havre  de paix autour de soi et en soi, tel un recueillement, conduira presque inévitablement à une autre perception de l’autre, en lui reconnaissant des valeurs que nous n’avions pas, jusqu’alors, remarquées, car le toujours plus vite mettait le curseur sur des qualités superficielles de rentabilité, d’intérêt à tendre vers toujours plus de performance.

Se retrouver avec soi-même nous apprend aussi à réintroduire, dans notre vocabulaire, le mot « lenteur » que Pierre SANSOT, dans son ouvrage Bon usage de la lenteur, nous indique « qu’elle n’est pas l’incapacité d’adopter une cadence plus rapide, la lenteur est la volonté de ne pas brusquer le temps et surtout de ne pas se laisser brusquer par lui ». Il ajoute, « la lenteur est la tendresse, le respect, la grâce dont tous les hommes sont capables ».

Nous sortirons de ce temps de retraite certainement, avec en poche, non pas notre laisser-passer daté et motivé, mais un regard de bienveillance sur notre prochain, un regard d’indulgence, de reconnaissance. Les liens d’amitié se renforceront pour diffuser de l’énergie à la manière d’une transfusion sanguine.

La devise d’espoir qui aide à la patience est une réplique de cette phrase qu’écrivait Jean-Paul II dans son ouvrage Mémoire et identité :

« Toute souffrance humaine, toute douleur, toute infirmité renferme une promesse de joie, une promesse de salut ».

Matière à rire

Rencontres buissonnières

de Raymond Devos (Sens dessus dessous)

Partagé avec nous par Dominique (Dijon)

Vous savez que j’ai un esprit scientifique. Or récemment, j’ai fait une découverte bouleversante! En observant la matière de plus près… J’ai vu des atomes… qui jouaient entre eux… et se tordaient de rire ! Ils s’esclaffaient ! Vous vous rendez compte des conséquences incalculables que cela peut avoir ? Je n’ose pas trop en parler, parce que j’entends d’ici les savants : – Monsieur, le rire est le propre de l’homme ! Eh oui… Et pourtant ! Moi, j’ai vu, de mes yeux vu des atomes qui : « Ha, ha, ha ! » Maintenant, de quoi riaient-ils ? Peut-être de moi ? Mais je n’en suis pas sûr ! Il serait intéressant de le savoir. Parce que si on savait ce qui amuse les atomes, on leur fournirait matière à rire… Si bien qu’on ne les ferait plus éclater de rire. Et que deviendrait la fission nucléaire ? Une explosion de joie !

Raymond Devos

Un point bleu pâle

Rencontres buissonnieres

de Carl Sagan (scientifique américain)

Partagé avec nous par Arnaud (Dijon)

1994, à propos d’une photo de la Terre prise par la sonde Voyager 1, où notre planète n’est plus qu’un minuscule point bleu pâle :

« Regardez encore ce petit point. C’est ici. C’est notre foyer. C’est nous. Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains qui aient jamais vécu. Toute la somme de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions aux convictions assurées, d’idéologies et de doctrines économiques, tous les chasseurs et cueilleurs, tous les héros et tous les lâches, tous les créateurs et destructeurs de civilisations, tous les rois et tous les paysans, tous les jeunes couples d’amoureux, tous les pères et mères, tous les enfants plein d’espoir, les inventeurs et les explorateurs, tous les professeurs de morale, tous les politiciens corrompus, toutes les “superstars”, tous les “guides suprêmes”, tous les saints et pécheurs de l’histoire de notre espèce ont vécu ici, sur ce grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil.

La Terre est une toute petite scène dans une vaste arène cosmique. Songez aux fleuves de sang déversés par tous ces généraux et ces empereurs afin que nimbés de triomphe et de gloire, ils puissent devenir les maîtres temporaires d’une fraction d’un point. Songez aux cruautés sans fin imposées par les habitants d’un recoin de ce pixel sur d’indistincts habitants d’un autre recoin. Comme ils peinent à s’entendre, comme ils sont prompts à s’entretuer, comme leurs haines sont ferventes. Nos postures, notre propre importance imaginée, l’illusion que nous avons quelque position privilégiée dans l’univers, sont mis en question par ce point de lumière pâle. Notre planète est une infime tache solitaire enveloppée par la grande nuit cosmique. Dans notre obscurité — dans toute cette immensité — il n’y a aucun signe qu’une aide viendra d’ailleurs nous sauver de nous-mêmes. La Terre est jusqu’à présent le seul monde connu à abriter la vie. Il n’y a nulle part ailleurs, au moins dans un futur proche, vers où notre espèce pourrait migrer. Visiter, oui. S’installer, pas encore. Que vous le vouliez ou non, pour le moment c’est sur Terre que nous prenons position.

On a dit que l’astronomie incite à l’humilité et fortifie le caractère. Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette lointaine image de notre monde minuscule. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir le point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue. »

Amitié

de José Luis Borges

partagé avec nous par Luisa

Je ne peux donner des solutions à tous les problèmes de ta vie ni répondre à tes doutes et à tes craintes, mais je peux t’écouter et essayer de chercher avec toi.

Je ne peux changer ni ton passé ni ton futur, mais quand tu auras besoin de moi, je serai avec toi. Je ne peux éviter que tu tombes, mais seulement t’offrir ma main pour que tu t’accroches et puisses te relever. Je ne peux t’épargner la souffrance qui te brise le cœur, mais je peux pleurer avec toi et t’aider à recueillir les morceaux pour les rassembler à nouveau.

Je ne juge pas tes décisions, je me contente de t’appuyer, te stimuler et t’aider si tu me le demandes. Tes joies, tes triomphes et tes succès ne sont pas les miens, mais je me réjouis sincèrement quand je te vois heureux.

Je ne peux pas fixer des limites à ton action, mais je peux t’offrir l’espace dont tu auras besoin pour grandir.

Je ne peux te dire qui tu es ni qui tu devrais être, mais seulement t’aimer comme tu es et être ton ami.

Aujourd’hui, j’ai prié pour toi…

Aujourd’hui, je me suis souvenu de mes amitiés les plus précieuses. 

Je suis une personne heureuse, j’ai plus d’amis que je ne pouvais l’imaginer. Je vois le brillant de leurs yeux, le sourire spontané et la joie qu’ils éprouvent quand ils me voient. Et quand je les rencontre, quand je leur parle, je suis comblé de paix et d’allégresse.

Aujourd’hui, j’ai pensé à mes amis et parmi eux, tu es apparu. Tu n’étais ni en tête de liste, ni à la fin. Tu n’étais pas le premier, ni le dernier. Ce que je sais, c’est que tu dépassais les autres par une qualité que tu étais le seul capable de transmettre  et par laquelle depuis longtemps tu enrichis ma vie. Et moi, je n’ai pas non plus la prétention d’être la première personne, la seconde ou la troisième de la liste. Que tu me considères comme ami me suffit.

Alors j’ai compris que réellement nous sommes des amis. J’ai donc fait ce que tout bon ami fait pour l’autre : j’ai prié…et j’ai remercié Dieu de m’avoir offert ce cadeau d’un ami comme toi. Ce fut une prière de remerciement, car tu donnes de la valeur à ma vie.